Le plus bel âge de la vie ?
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Bravo à Simon Delétang pour avoir embarqué avec une belle énergie la douzaine de jeunes comédiens que sa baguette a transformés en professionnels de haut vol devant un public conquis.
L’exercice, pourtant n’allait pas de soi, à commencer par le choix du texte. Leurs enfants après eux a valu à Nicolas Mathieu le Goncourt. L’auteur, qui voulait d’abord écrire un roman social sur la génération des enfants d’ouvriers frappés par la crise de la sidérurgie lorraine, s’est tourné vers le roman d’apprentissage, s’attachant à décrire avec minutie la vie affective et sexuelle de ces très jeunes gens, ainsi que l’ennui de ces petites villes sinistrées.
On comprend l’intérêt de Simon Delétang : faire jouer cette traversée de l’adolescence par des jeunes venant à peine d’en sortir est fort séduisant. Mais cela n’a pourtant rien de facile. Déjà, la proximité du sujet n’aide pas au détachement nécessaire au comédien, au contraire. De plus, comment le metteur en scène allait-il adapter ce roman à la scène ? Quelles trahisons, quels raccourcis allait-il s’autoriser ?
Simon Delétang en a fait une pièce chorale, en réinventant la place du chœur. Traditionnellement, ce dernier raconte, annonce et juge. Or, dans cette mise en scène, le narrateur, sorti de l’ensemble pour un moment, restitue les mots de l’auteur, tandis que le reste de la troupe, dans de vastes mouvements chorégraphiques, illustre l’importance du groupe, la pression qu’il exerce, le regard qu’à cet âge on recherche et on craint. Un ou deux acteurs, à leur tour, sortent du groupe, non pour jouer, mais pour incarner des émotions.
À proprement parler, l’absence de jeu est essentielle. Car le texte est cru. Très cru. Aussi bien pour parler des rapports avec la génération des parents, « trop cons », que pour détailler l’essentiel des désirs et des pulsions qui occupent l’esprit quand on a entre 14 et 18 ans. Le sexe envahit la pensée, les rêves, le corps. On ne sait pourtant comment en parler, comment le dire, on fait semblant de tout savoir, ou au contraire de n’avoir rien fait – « tu rigoles » – et on est malheureux, très.
Pièce chorale pour un monde sans pitié
Or, la mise en scène évite tout voyeurisme, permet et assure une pudeur absolue, laissant au texte seul convoquer l’imaginaire et les souvenirs de chacun. Tout est dit, suggéré, jamais montré. C’est bien de théâtre, de mise en scène et de direction d’acteurs dont il est question. Portés au meilleur d’eux-mêmes.
Simon Delétang fait se croiser les personnalités et les incarnations sans jamais nous perdre un seul instant. Il donne ainsi l’occasion à chacun de paraître et d’exister, sans que l’exercice ne paraisse artificiel (comme c’est souvent le cas dans les travaux d’élèves). Le recours à la musique (Ah ! Nirvana) et à la danse, magistralement millimétrée, rendent avec force le besoin du mouvement, la nécessité de bouger, de se frotter au corps des autres, d’oublier l’école, l’avenir qu’on n’a pas de toute façon dans cette région oubliée de Moselle.
En dehors même des moments où ils dansent, les mouvements des jeunes comédiens sont chorégraphiés et c’est magnifique. Que dire de plus, si ce n’est que le spectacle dure près de trois heures et demie, et les mérite ! Donnons aussi le nom de ces jeunes gens qui ont montré leur potentiel : Vianney Arcel, Robin Azéma, Agathe Barat, Josuha Caron, François Charron, Héloïse Cholley, Ariane Courbet, Antoin de Toffoli, Claire-Lyse Larsonneur, Lise Lomi, Elsie Mencaraglia, Marin Moreau et Kaïnana Ramadani. C’est du grand art. ¶
Trina Mounier
Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu
Texte publié aux Éditions Actes Sud
Mise en scène : Simon Delétang
Avec les actrices et acteurs de la 80e promotion : Vianney Arcel, Robin Azéma, Agathe Barat, Josuha Caron, François Charron, Héloïse Cholley, Ariane Courbet, Antoine De Toffoli, Claire-Lyse Larsonneur, Lise Lomi, Elsie Mencaraglia, Marin Moreau, Kaïnana Ramadani
Scénographie : Adèle Collé et Manon Terranova
Lumière : Lou Morel et Alexandre Schreiber
Son : Rozenn Lièvre
Costumes : Françoise Léger, Irène Jolivard
Durée : 3 h 20, entracte compris
Du 25 juin au 6 juillet 2021, à 18 heures, relâche le dimanche
Dans le cadre des Nuits de Fourvière
Entrée libre
Au Théâtre du Peuple à Bussang, du 12 août au 4 septembre 2021
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Suzy Storck, de Magali Mougel, par Trina Mounier
☛ Reportage au Théâtre du Peuple, par Cédric Enjalbert