Lecture T.G.V.
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
C’est une de ces expériences dont le Théâtre Nouvelle Génération a le secret depuis qu’il est codirigé par Joris Mathieu et Céline Le Roux, de ces objets hybrides dont on se demande ce qu’ils font dans un théâtre, non qu’ils ne soient pas intéressants en soi, ni même capables de susciter quelque émoi. Mais il leur manque certaines dimensions qui permettraient de savoir ce que ces objets font là.
Le T.N.G. / Ateliers, donc, convie les jeunes spectateurs (mais pas uniquement) à partir de 10 ans à venir un par un pour une durée d’environ cinq minutes dans un lieu où on leur promet de faire l’expérience de la lecture « augmentée ». Beau et vaste programme.
On entre ainsi dans un cylindre opaque éclairé d’une petite lumière bleue, pour éviter sans doute les épisodes de claustrophobie. Devant soi, une vitre à travers laquelle on voit grâce à un jeu de miroirs un immense puits tapissé de livres. Livres auxquels on n’aura pas accès. L’image est belle, renvoie à un monde suranné, en tout cas à un monde où le temps existe, s’étire, se compte. Quelques étagères portent des livres que nous pourrons, eux, manipuler, et surtout choisir, scanner pour que se vive l’expérience de lecture augmentée. Il y en a une trentaine, même si sur la liste remise à l’entrée, on en dénombre beaucoup plus. Cela va de la Conjuration des imbéciles à Tortilla Flat en passant par la Maison de Claudine. Une fois le livre scanné, un extrait de cinq minutes va nous être lu et scénographié. Cinq minutes, c’est bien peu pour une lecture, même non augmentée !
Ni théâtre ni lecture
Pour ma part, j’ai choisi trois livres qui font chacun l’objet d’une mise en scène différente. Pour la Princesse de Clèves, nous sommes face à un grand tableau représentant le portrait d’une femme en costume, disons, d’époque. Une actrice lit l’extrait dans lequel Mme de Clèves s’interroge sur les sentiments de M. de Nemours. Peu à peu, on s’aperçoit que le portrait est animé, l’actrice (puisque c’en est une, en fait) sourit parfois, cligne des yeux, très légèrement mais sûrement.
Deuxième extrait, le Voleur d’enfants de Supervielle. Là, pas de comédien ni d’images illustrant l’histoire, juste une sorte de neige qui tombe, ponctuée de quelques coups de vent…
Je me suis enfin tournée vers le seul album pour enfants que j’ai pu trouver (après tout, le T.N.G. a encore vocation à s’adresser à eux), Minable le pingouin. Ici, la scénographie est différente, un comédien qui a l’apparence d’un hologramme lit et tourne les pages du livre en tenant les illustrations face à nous, un peu comme un enseignant ferait avec une classe.
Pas convaincue
J’avoue ne pas avoir été convaincue par cette expérience qui a le mérite, il est vrai, de nous mettre en contact avec les livres et même de permettre à ceux qui le désirent de proposer eux-mêmes des scénographies du même genre.
Selon moi, les limites sont de plusieurs ordres : d’une part, ce que j’aime dans la lecture, c’est la durée, le fait d’entrer dans une histoire, d’y cheminer, de ralentir de peur que cela se termine trop vite. Cette tentative express ne me convient pas, pas plus que le fait que l’on choisisse pour moi un extrait. C’est frustrant, rien à voir avec le plaisir qu’on éprouve en feuilletant un livre pour voir si, au hasard de ce qui nous tombe sous les yeux, l’auteur, son écriture, les personnages nous séduisent. Et quand je vais au théâtre, c’est pour être avec d’autres, pas pour me trouver enfermée solitaire devant une image.
Alors, force est de dire que je ne comprends pas. Quelle que soit l’admiration que je puisse avoir pour le metteur en scène Joris Mathieu et le respect que je porte à sa curiosité pour les nouvelles formes, je reste extérieure à cette machinerie qui me laisse froide. Faire lire de grands textes par des comédiens est une très vieille expérience, faite au départ pour les malvoyants. Ce cylindre avec scan et hologramme y joint une image. Mais celle-ci n’ajoute pas de sens. Quel dommage ! ¶
Trina Mounier
Livre in room, de Joris Mathieu
Conception et scénarisation : Cie Haut et Court
Conception du dispositif : Nicolas Boudier, Joris Mathieu
Création vidéo : Siegfried Marque
Création lumière : Nicolas Boudier
Développement : Loïc Bontems
Création sonore : Nicolas Thévenet
Interprètes : Vincent Hermano, Philippe Chareyron, Marion Talotti, Line Wimblé, Rémi Rauzier…
Sélection des textes : François Beaune, Lancelot Hamelin, Lorris Murail, Antoine Volodine
Photos : © Nicolas Boudier et Siegfried Marque
Construction : Unpointrois
Production déléguée : Théâtre Nouvelle Génération
T.N.G. • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon
Tél. 04 72 53 15 15
Jusqu’au 2 décembre 2015, vérifier les horaires sur le site
Spectacle gratuit en accès libre
Dès 10 ans
Durée : cinq minutes