« L’Orage, Alexandre Ostrovski, Théâtre des Célestins, Lyon

L’Orage-Alexandre-Ostrovski-Denis-Podalydès © Jean-Louis-Fernandez

Un monde sans perspective

Trina Mounier
Les Trois Coups

Décidément les pays slaves sont à l’honneur ! Et la Russie en particulier, dont Denis Podalydès nous propose de relire Ostrovski. Il a confié l’adaptation de L’Orage à Laurent Mauvignier, une référence en matière de littérature et, depuis peu, d’écriture théâtrale.

Avec une scénographie d’Éric Ruf, administrateur général de la Comédie Française, et une kyrielle de comédiens de haut vol, dont Nada Strancar, avec Denis Podalydès à la baguette et dans la distribution, le spectacle avait tout pour conquérir les foules.

C’est malheureusement la pièce elle-même qui pose problème. Ou plutôt qui n’en pose pas : tout se déroule dans une petite bourgade du fin fond de la Russie rurale et arriérée d’avant Tchekhov, acculée aux flots tumultueux de la Volga. Le servage existe encore, le patriarcat le plus obtus règne dans les familles, même si la gent masculine, constituée essentiellement de poivrots imbibés de vodka, remet volontiers son pouvoir dans les mains de la génération au-dessus. On vit dans la promiscuité du fait de l’exiguïté des appartements où cohabitent diverses strates de la famille. Les patrons n’ont de comptes à rendre qu’à eux-mêmes, les voisins passent leur temps à s’espionner mutuellement, etc. Il est vrai que l’horizon est bouché, l’avenir désespérément semblable au présent, ou pire.

© Jean-Louis Fernandez

Ce qui explique le peu d’action. En fait, tout tourne autour du personnage de Katerina (incarnée avec finesse par Mélodie Richard), mariée à une brute alcoolique soumise, jusqu’à l’excès, à sa mère. Nada Strancar est une immense actrice, mais avec un personnage aussi dénué de toute subtilité – entre la Ténardier et Folcoche – dont l’unique moteur est la méchanceté et le seul souffre-douleur sa belle-fille, elle a peu l’occasion de déployer son talent. Katerina tombe amoureuse de Boris qui, venu de Moscou, semble plus raffiné que les autres, mais se montrera tout aussi incapable de résister à la pression environnante et l’abandonnera à son triste sort.

Tous les personnages, ou presque, sont des caricatures qui ne nous passionnent guère. Seul Kouliguine, philosophe et poète, se détache du lot : il aime contempler la Volga et regarder ses contemporains avec empathie. Las, ce ravi est en haillons : morale est sœur de pauvreté.

Huis clos du malheur

Dans cet univers bien sombre, Denis Podalydès parvient à nous faire rire, mais c’est un rire sans joie que celui qui trouve drôle la petitesse d’autrui. Ajoutons que la scénographie est, certes, belle mais encombrante et lourde à déplacer avec ses énormes échafaudages en bois peu mobiles, ce qui ralentit encore un rythme qui tarde à se manifester.

© Jean-Louis Fernandez

Si le metteur en scène est indéniablement un meneur de troupe d’une grande efficacité, s’il sait admirablement diriger ses acteurs, l’ensemble rets figé, comme sous emprise. Et ce n’est pas l’utilisation saugrenue d’un téléphone portable qui rendra ce texte plus moderne. Il reste moyen-âgeux dans l’intrigue elle-même.

Oui, l’Orage gronde et fournit une belle amorce à une possible métaphore. Mais il se contente de réveiller la nature et de donner lieu à une formidable expression de ce qu’est capable de produire une scénographie conçue comme un art : des pluies diluviennes s’abattent sur le plateau, tandis que la splendide coupole rouge et or de cette belle salle à l’italienne s’illumine sous l’effet des éclairs, se montrant enfin à nos yeux émerveillés. 🔴

Trina Mounier


L’Orage, d’Alexandre Ostrovski

Adaptation : Laurent Mauvignier
Mise en scène : Denis Podalydès
Texte publié chez Actes Sud-Papiers
Mise en scène et scénographie : Marc Lainé
Avec : Cécile Brune, Julien Campani, Philippe Duclos, Francis Leplay, Leslie Menu, Dominique Parent, Laurent Podalydès, Mélodie Richard, Nada Strancar, Geert van Herwijnen, Thibault Vinçon, Bernard Vallery
Assistanat à la mise en scène : Laurent Podalydès
Scénographie : Éric Ruf
Assistanat à la scénographie : Caroline Frachet
Costumes : Anaïs Romand
Son : Bernard Vallery
Lumière : Stéphanie Daniel
Cheffe de chant : Sylvie Deguy
Maquillages et coiffures : Véronique Soulier Nguyen
Production : CICT (Centre International de Créations Théâtrales), Théâtre des Bouffes du Nord
Durée : 2 h 30

Théâtre des Célestins • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 8 au 18 mars 2023, du mardi au samedi à 20 heures, le dimanche à 16 heures, relâche le lundi (les 15 et 16 mars, Philippe Duclos sera exceptionnellement remplacé par Denis Podalydès)
Réservations : 04 72 77 40 00 ou en ligne
De 7 € à 40 €

Tournée :
• Le 24 mars, La Maison, scène conventionnée de Nevers
• Les 28 et 29 mars, Scène nationale d’Albi
• Les 2 et 3 avril, Le Parvis, scène nationale Tarbes Pyrénées
• Les 6 et 7 avril, Théâtre de Caen
• Les 25 et 26 avril, Théâtre Saint-Louis, à Pau

À découvrir sur Les Trois Coups :
La Disparition du paysage, par Florence Douroux

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