Quand Omar rencontre Yan
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Protéiforme et participatif, « Still in Paradise » est un spectacle foisonnant qui interroge les rapports entre le monde musulman et l’Occident. Intime, complexe et passionnant !
Yan Duyvendak est néerlandais, Omar Ghayatt, égyptien. Les deux artistes se sont rencontrés en Suisse, où ils habitent. Chacun a vécu la déflagration du 11 septembre 2001 et observé ses conséquences délétères sur les relations entre les Occidentaux et le monde musulman. Au fil des années, ils ont accumulé un matériau conséquent sur le sujet. Leur travail s’est nourri de leurs discussions, parfois conflictuelles, et de leur désir de se comprendre, malgré tout. C’est ainsi que sont nés en 2008 Made in Paradise, puis Still In Paradise, présenté aujourd’hui dans le cadre de « Regards Croisés » au Nouveau Théâtre de Montreuil.
En entrant dans l’espace de jeu de Still In Paradise, on ne se sépare pas seulement de ses effets, on est aussi invité à se déprendre de ses préjugés. On doit encore abandonner la posture passive du spectateur, pour participer à l’élaboration d’un débat et d’une réflexion. Ce sont ces principes qui expliquent le dispositif scénographique, comme la dramaturgie du spectacle. Que les spectateurs allergiques aux dispositifs interactifs se le disent !
Comment peut-on être égyptien ?
Le plateau est donc remodelé par le déplacement des spectateurs. C’est un peu comme si ce changement de places dans la salle favorisait le changement de visions sur les thématiques abordées. Ainsi, les artistes élaborent-ils chaque soir un spectacle différent, au sens où ce dernier est constitué en grande partie des fragments que l’on a définis à l’issue d’une votation.
Or, cette procédure liminaire de choix n’est pas une coquetterie. Elle traduit, d’une part, la dimension politique du spectacle et, d’autre part, interroge sur soi-même : pourquoi ai-je choisi ce fragment ? Qu’est-ce que cette élection raconte de mes pulsions scopiques, de mes idées sur le monde musulman ?
Chaque performance est donc spécifique. Elle adopte, par ailleurs, des angles d’approches concrets (la tenue vestimentaire, la sexualité, le cinéma, par exemple), pour éviter les délires théoriques. Pour les mêmes raisons, elle est nourrie par les expériences personnelles des dramaturges. Que l’on entende une lettre, un témoignage recueilli ou des souvenirs, on se trouve, en effet, au plus près des individus. Pas question, dès lors, de faire des généralités. Yan est néerlandais, mais n’incarne pas la posture de tout occidental, pas plus qu’Omar ne représente le monde musulman.
D’ailleurs, leurs propos peuvent être ironiques et épouser volontairement la forme d’un préjugé : il ne s’agit pas de les prendre pour argent comptant. Tout manichéisme est enfin exclu par la présence d’un troisième larron : Georges Daaboul, présenté comme simple interprète d’Omar Ghayatt, mais permettant, par son rôle de truchement comme son dialogue divergent avec Omar, d’exprimer l’infinie variété des pays musulmans.
Les auteurs de Still In Paradise nous présentent avec humour et modestie leur performance comme un souk. On vous conseille d’y faire un tour, vous y découvrirez, à coup sûr, quelques trésors d’intelligence. ¶
Laura Plas
Still In Paradise, de Yan Duyvendak et Omar Ghayatt
De et avec : Yan Duyvendak et Omar Ghayatt
Durée : 2 heures
À partir de 15 ans
Nouveau Théâtre de Montreuil • Salle Jean-Pierre Vernant, 10, place Jean Jaurès • 93100 Montreuil
Dans le cadre du temps fort « Croiser les Regards »
Du 26 mars au 11 avril 2019, du lundi au vendredi à 20 heures, le samedi à 18 heures, relâche le dimanche
De 8 € à 23 €
Réservations : 01 48 70 48 90
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Please, Continue (Hamlet), de Yan Duyvendak et Roger Bernat, par Trina Mounier
☛ Entretien avec Mael Le Goff, directeur du festival Mythos à Rennes, par Aurore Krol