Pagnol mitonné à la flamande
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Revoici la Comp. Marius pour la troisième fois à Fourvière, avec l’adaptation au théâtre de la célèbre trilogie de Pagnol, « Marius », « Fanny » et « César ». Une incontestable réussite et un authentique spectacle populaire.
Ce n’est pas pour rien que Waas Gramser et Kris Van Trier ont choisi ce prénom fortement connoté pour leur compagnie. Et ce n’est pas dans leur lieu d’origine qu’il faut en chercher la raison, puisque tous deux sont belges, d’Anvers plus précisément. Mais leur tout premier spectacle, créé en 1991, celui qui les a fait connaître en tout cas, était justement cette trilogie si liée à Pagnol, à Marseille, au Vieux-Port, aux sardines, au pastaga, à l’accent et à Raimu. Depuis, elle n’a cessé de « tourner »…
C’est donc leur œuvre fétiche qu’ils ont partagé avec le public de Fourvière et des Subsistances. Un spectacle qui a imposé leur marque de fabrique : le jeu en plein air, sous les étoiles, et parfois en plein jour, des spectacles-fleuves ponctués de pauses gourmandes et conviviales : ces Belges-là savent recevoir et nous le prouvent.
Ainsi, la trilogie sera-t-elle interrompue d’abord par une distribution d’eau fraîche, de lunettes de soleil et de bière, puis par un repas assis, au menu duquel on dégustera moules à la marinière accompagnées d’un waterzoï-bouillabaisse délicieux servi par la troupe elle-même, avec laquelle on peut de ce fait facilement échanger. Puis, au moment de la naissance de Césariot, distribution de dragées, et pour finir, en guise de pousse-spectacle, gâteau au citron et café dans la cour. Bref, ils sont aux petits soins, dans une grande complicité avec le public auquel ils s’adressent volontiers. Cela crée une ambiance bon enfant très chaleureuse propice à entrer de plain‑pied dans le spectacle.
Bien entendu, cela ne suffit pas. Et il y a loin de Marseille à Anvers. La Comp. Marius joue donc de la distance et du parallélisme. Loin de contrefaire l’accent marseillais, elle utilise le flamand pour faire chanter la langue, par exemple. Loin de singer le réalisateur Pagnol et de reproduire les répliques cultes, elle recrée l’essentiel : couleur locale, contexte social, véhémence, sentiments volcaniques et mélodrame. Et cela donne du poids à ce texte si connu qu’on en a oublié le fond pour n’en garder que la partie de cartes et autres détails.
La Belgique sur le Vieux‑Port
Alors, on voit Fanny flirter avec Panisse, car à 18 ans, une jeune fille est flattée de séduire un homme riche, fût-il de trente ans son aîné. On comprend Marius qui rêve de partir sur les mers vivre des aventures loin du bistrot de son père… On s’amuse des grosses colères d’Honorine, très vite suivies d’embrassades exaltées, ou des petits calculs de César… On est ému du grand cœur de Panisse… Bref, on est chez Pagnol, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre.
Peu d’artifices, peu de décors, mais une bande-son qui va de Claude François aux Beatles, rengaines… Rengaines qui nous trotteront dans la tête un bout de temps et créeront une sorte de ciment entre tous ceux qui s’y reconnaissent. Et surtout des acteurs formidables, à commencer par Waas Gramser qui compose une Fanny d’une grande fraîcheur, spontanée et amoureuse. Kris Van Trier démontre ses talents de clown en César calculateur à la petite semaine, il est formidablement drôle, cherchant et trouvant toujours la complicité du public. Frank Dierens est Marius, avec ses regards lointains, ses aspirations d’ailleurs, ses déchirements de jeune homme.
Bref, toute la distribution est parfaite et donne non seulement vie mais aussi profondeur à ce mélodrame, qui parvient à émouvoir et à capter l’attention d’un public très large quatre heures durant ! ¶
Trina Mounier
Marius, Fanny, César, d’après Marcel Pagnol, par la Comp. Marius
Traduction et adaptation : Waas Gramser, Kris Van Trier
Avec : Kristin Van Pellicom, Frank Dierens, Yves Degryse / Filip Jordens, Waas Gramser, Koen Van Impe, Kris Van Trier
Traduction française : Monique Nagielkopf
Costumes : Thijsje Strypens
Technique : Frouke Van Gheluwe, Stevie Van Haver, Dirk Vanreusel
Cuisine : Ezra Avonds, Vincent Goedemé
Photo : © Vincent Goedemé
Production : Jeroen Deceuninck
Assistant de production : Hanne De Valck
Coproduction : Comp. Marius en collaboration avec Zomer Van Antwerpen 1999, 2001
Les Subsistances • 8 bis, quai Saint‑Vincent • 69001 Lyon
04 78 30 37 72
Dans le cadre des Nuits de Fourvière
04 72 57 15 40
Du 1er au 10 juillet 2016 à 19 heures
Durée : 4 heures
Repas servi à l’entracte
Tarif : 38 €