Les Sans Cou… de génie
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
« Attention surdoués ! » titrait un ami, nullement démenti par le nouveau spectacle des Sans Cou. La petite quinzaine de comédiens de cette formidable troupe joue en alternance un spectacle de commedia dell’arte malin et sensible : « Masques et nez », au Théâtre des Béliers.
Eddy Mazout est chauffeur de taxi. Grosse moustache et gros nez, gapette vissée sur le crâne et ventre-montgolfière, il fait du théâtre en amateur pour résoudre ses problèmes de sociabilité. À ses côtés, Denis Sapin, manœuvre chez P.S.A.-Citroën et représentant syndical ; Jeannette la timide, prof de danse rouquine ; Benoît Couflont, le laid ; et Pistole, travailleur dans une ferraillerie, un brin violent. Dans la salle, leur prof, Igor. Ils les dirigent sous notre regard complice. Car Masques et nez est un vrai-faux cours de théâtre. Vrai, il est conforme à tous les cours, avec échauffement, etc. Faux en ce qu’il n’est pas une véritable improvisation, mais un canevas conçu la veille de chaque représentation, ainsi chaque soir renouvelé. C’est le génie de ce spectacle : intelligent, il interroge la question de la représentation et la bonté du théâtre, à travers une galerie de personnages sans cesse réinventés ; heureux, il permet aux comédiens de mettre en avant les textes qu’ils aiment sans jamais se répéter, bref de passer les trois semaines d’Avignon presque prospères et avec des salles qu’on imagine pleines.
Igor structure le cours en deux temps : de l’impro et des tours de passage autour de textes appris, seul ou à deux. Ce soir, Benoît et Pistole goûtent aux envolées lyriques et sombres de Koltès et des premiers mots de la merveilleuse Nuit juste avant les forêts. Bouleversants tous deux, si justes derrière masques et nez, se départissant de tous leurs handicaps à l’instant de jouer, ces deux pitres écorchés profèrent une ode au théâtre, à ce trafic du désir dont parle Koltès. Ils en incarnent la beauté. Eddy, lui, a choisi d’interpréter le Prince dans la Mort du cygne. Jeannette danse le cygne blanc. Et là où de bons comédiens auraient fait rire, eux, pleins de finesse, vont chercher une larme au coin de l’œil, tandis que les pommettes remontent en esquissant un sourire. Le maladroit Eddy, dans son gros corps rehaussé d’une moustache, avec ses enjambées gauches et ses grands sauts balourds, suscite autant le rire que l’empathie. « Suis pas très à l’aise, mais j’ai tout donné. Personne se marre en regardant Noureev… Peut-être que Noureev il essayait de faire rire les gens ? »
Sincère, émouvant, riant, le cours d’Igor Mendjisky est une pièce d’humanité, une formidable leçon de théâtre. ¶
Cédric Enjalbert
Masques et nez, de la compagnie Les Sans Cou
Mise en scène : Igor Mendjisky
Avec (en alternance) : Jonathan Cohen, Laurent Ferraro, Igor Mendjisky, Clément Aubert, Romain Cottard, Arnaud Pfeiffer, Paul Jeanson, Adrien Melin, Jeanne Arènes, Marc Arnaud, Esther Van den Driessche, Florine Delobel, Tewfik Jallab, Éléonore Simon
Photo : © Ghislain d’Orglandes
Théâtre des Béliers • 53, rue du Portail-Magnanen • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 82 21 07
http://www.theatredesbeliers.com/
Du 8 au 31 juillet 2011 à 15 h 45
Durée : 1 h 15
18 € | 12,50 €