Cirque cosmique
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Quelles sont les limites de l’acrobate ? Pour le premier spectacle jeune public de la cie Barks, Bastien Dausse invente un dispositif créé de toutes pièces pour défier la gravité. Une épopée solitaire originale et éclairante. Carrément planante !
La lune ne cesse pas de nous faire rêver. Et pas seulement les nations ou les scientifiques. Les artistes s’y intéressent aussi de près. Pas plus tard que le 23 février, 125 sculptures de Jeff Koons l’ont atteinte à bord de la fusée Falcon 9, dans le cadre du projet Moon Phases. Cela ferait de cet artiste « le premier à exposer une œuvre d’art sur la Lune, avec autorisation ». Car sa déclaration peut être contredite par le belge Paul van Hoeydonck, qui y expose déjà une de ses œuvres depuis 1971, avec l’accord du gouvernement américain et de la NASA. Déposée sur le sol lunaire lors de la mission Apollo 15, sa sculpture Fallen Astronaut est un hommage aux morts pour la conquête spatiale.
À des années-lumière de telles visées, Bastien Dausse est obsédé par une autre préoccupation : suspendre le temps. Sa rencontre avec Yoann Bourgeois a été déterminante. Lui qui a travaillé, comme voltigeur, à aller toujours plus haut, à rester plus longtemps en l’air, se concentre désormais sur des recherches plus terre à terre et néanmoins poétiques, sur le déséquilibre. Vaste programme à la croisée de l’art et de la science. Passionné d’acrobatie et de cascade, d’inventions et de constructions, d’absurde et d‘illusions, cet artiste associé à Circusnext – Ferme Montsouris a trouvé dans le cirque un bel espace de jeu et de liberté. Il est littéralement touché par la grâce, comme l’attestent ces images sur sa démarche.
La nuit des temps
Circassien et designer, Bastien Dausse invente des structures adaptées à ses besoins, des agrès atypiques. Défiant plus que jamais les lois de la gravité, il aime aussi créer des effets spectaculaires à échelle humaine. Pour son troisième opus, entre voyage initiatique et conte acrobatique, la scénographie reproduit une capsule spatiale. Véritable boîte à malices, le décor comprend de nombreuses trappes ou éléments éjectables. Inspiré par le cinéma, Bastien Dausse travaille un peu à la manière de Georges Méliès.
Le spectacle s’ouvre sur des images projetées sur un écran, derrière lequel on perçoit le dispositif et l’acrobate en chair et en os. On est d’abord fascinée par l’image de cette astronaute dans sa station, se déplaçant sans le moindre effort. Et on est bluffée quand on apprend que ce n’est pas une vidéo, mais bien la retransmission, légèrement décalée de la performance. Éclairant pour aborder les lois de la physique !
Éclipse
Cette référence à Odyssée 2001 de l’espace ouvre en grand le spectacle. Toutefois, on est pressée de découvrir l’interprète aux prises avec les éléments. On va être encore surprise (et amusée) par ses ruses afin de ne pas finir essorée ! Ballottée, comme dans un tambour de machine à laver, elle nous épate : son corps est mis à rude épreuve de la chute. Tête en bas, pieds en l’air, elle démontre avec humour la capacité humaine à s’adapter, qu’elle soit coincée dans l’espace infime de sa cabine ou perdue dans le cosmos. Belle réflexion sur la résilience et la liberté.
Oui, cette fille-là tutoie les étoiles ! À travers le hublot, les constellations… On nous mène aux confins du rêve, jusqu’aux échappées hors de l’habitacle, un monde infini où contrer la solitude. De quoi donner des ailes, en particulier à toutes les filles qui voient s’ouvrir enfin à elles de nouveaux horizons.
Ingénieuse mais épurée, la scénographie laisse place à l’imagination. Tout comme le travail sonore : la compositrice Sakine a conçu des nappes électro inspirées. À cette époque où le temps file si vite qu’on en perd la faculté de penser, Bastien Dausse fait le pari de l’étirement, voire la lenteur, y compris auprès des plus jeunes. Exit le lavage de cerveau ! Gardons la tête haute.
Planant
Petits et grands se laissent embarquer par tant d’onirisme. Bien qu’imposant, le dispositif n’écrase pas l’interprète. À la fois moteur et support, le cercle dicte des contraintes dont Laurane Wüthrich se joue allègrement. Celle-ci développe une gestuelle à la fois dense et légère. On aimerait flotter avec elle. Prête à l’action, tout en se laissant aller à la contemplation, on sort de là en apesanteur, prêt à explorer un vaste champ de possibles.
En complément de cette proposition, il est toujours possible de voir MOON, Cabinet de curiosités lunaires, qui l’a fait remarquer dès 2022. Une exposition vivante et acrobatique, un cabinet de curiosités dans lequel les structures prennent forme et vie. À découvrir, par exemple, aux prochaines Rencontres des Jonglages, à la Courneuve. 🔴
Léna Martinelli
MIR, de Bastien Dausse
Cie Barks
Mise en scène : Bastien Dausse
Avec : Laurane Wüthrich
Soutien à la mise en scène : Julieta Salz
Composition musicale : Sakine
Création lumière : Pierre-Yves Aplincourt
Création costumes : Fanny Gautreau
Construction : Pierre-Yves Aplincourt et Association La Molette – Sébastien Leman
Dès 6 ans
Durée : 45 minutes
Le Quai, CDN Angers Pays de la Loire • Cale de la Savatte • 49100 Angers
Spectacle accueilli dans le cadre des PJP 49
Tournée ici :
• Les 22 et 23 mars, Up Festival, Maison des Cultures / MCCS, à Bruxelles (Belgique)
• Le 27 février, Commune de Tiercé
• Le 29 février, L’Échappée Belle, à Val d’Erdre-Auxence
• Le 19 mars, Espace du Séquoia
• Le 26 mars, festival Mômes en Folie, Le Dôme, à Saumur
• Les 16 et 17 avril, festival Spring, Espace Culturel Philippe Torreton, à Saint-Pierre-lès-Elbeuf
• Le 19 avril, festival Noob, à Pont-Audemer
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Les Idées grises, de Bastien Dausse et et François Lemoine, par Laura Plas
Photos © Jean-Lambert © Quentin Chevrier