« Mon bras », Tim Crouch, Le 11, « La langue de mon père » Sultan Ulutas Alopé, La Manufacture, Festival Off Avignon 2023

Mon-bras-Studio monstre © Abigail Auperin

Mes deux coups de cœur d’Avignon

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Ce sont deux spectacles de petites compagnies, faits sans grands moyens, mais avec quel talent ! « Mon bras » de Tim Crouch est une merveille d’ingéniosité et d’intelligence. « La Langue de mon père » nous impressionne par sa simplicité qui nous va droit au cœur.

Après Truth’s a Dog Must to Kennel, découvert dans le In, aller voir Mon bras, la première pièce du dramaturge anglais, allait de soi, tellement son écriture emballe. Celle-ci est difficilement racontable. C’est l’histoire absurde d’un gamin qui décide un jour de garder le bras en l’air… pour toujours. Après avoir inquiété sa famille, désespéré les médecins et subi des répercussions graves physiques et mentales, il devient à lui seul un objet d’art, un performer…

Est-il psychotique ? Mythomane ? Artiste ? L’histoire est en tout cas abracadabrantesque. Et elle trouve moyen de régler leur compte à quelques grandes figures de l’art contemporain qui utilisent leur corps comme support de leur création et à ceux qui en vivent.

L’art du pied de nez

Dit ainsi, cela paraît très cérébral. Il n’en est rien. Ce travail est au contraire incroyablement théâtral. Et Théophile Sclavis, le comédien, formidablement drôle, attendrissant, insolent et malin. Seul en scène ? Presque car, autour de lui sur 2 mètres carrés, un véritable plateau technique avec décor, son, vidéo et lumière. Le spectacle est fait pour être joué n’importe où, dans une salle de classe (où nous l’avons vu), comme dans une cour de musée. Et pourquoi pas au théâtre ?

« Mon bras »,Tim Crouch © Abigail Auperin

Cela tient de la performance, tant il joue à lui seul l’accessoiriste, marionnettiste, vidéaste, régisseur technique, que sais-je encore. Néanmoins, pour cette création collective, il est entouré de l’ensemble du Studio monstre qui a construit là une machine à théâtre très efficace. Notons pourtant que ce jeune homme au visage juvénile et moqueur cosigne la traduction de la pièce de Tim Crouch. Pas mal !

Je souhaite à ce spectacle une belle carrière, il mérite d’être joué et vu, tant il est intelligent, subtil, drôle et pas prétentieux pour un rond.

Une belle histoire de résilience

Avec La Langue de mon père, nous voici dans un tout autre registre : Sultan Ulutas Alopé est une jeune femme turque et kurde, un mélange bien difficile à vivre, débarquée en France il y a trois ans pour poursuivre ses études théâtrales. Ce premier spectacle écrit par elle en français revient sur son histoire récente, notamment sur sa situation actuelle, la difficulté à obtenir des papiers pour pouvoir travailler, le racisme auquel elle se heurte, l’interdiction de retourner dans son pays tant qu’elle n’est pas « en règle ».

Peu à peu, elle déroule sa vie à l’envers, le fil qui va la conduire sur ce chemin à rebours : le désir d’apprendre la langue maternelle de son père, qu’elle n’a jamais parlée. Alors pourquoi ? Pourquoi, alors que ce père – elle va le découvrir en remontant dans ses souvenirs – était un homme violent, toujours absent, non pour des raisons compréhensibles et respectables pour une enfant, mais parce qu’il avait refait sa vie, au loin.

« La langue de mon père », Sultan Ulutas Alopé © Jeanne Garraud

L’écriture de cette jeune femme révèle une vraie plume, alerte, rapide, tantôt joyeuse et tantôt sombre. La Langue de mon père a d’ailleurs déjà été publié à L’espace d’un instant. Mais ce texte trouve véritablement sa grandeur et sa vérité sur un plateau.

Sultan Ulutas Salomé est constamment juste et très émouvante sans jamais sombrer dans le pathos. L’épisode où elle relate une crise de violence de son père parce que sa mère n’est pas là, vue par les yeux d’une petite fille, est rendu de manière très vivante, à la fois distanciée et imagée sur scène. Ce n’est pas un hasard si le Festival Sens Interdits a décidé de labelliser ce spectacle. 🔴

Trina Mounier


Mon bras, de Tim Crouch

Studio monstre
Traduction de l’anglais : Théophile Sclavis et Éléonor Sclavis
Mise en scène et création collective : Mathilde Souchaud, Gala Ognibene, Arthur Gueydan et Théophile Sclavis
Avec : Théophile Sclavis
Scénographie et accessoires : Gala Ognibene
Conception lumière et vidéo : Arthur Gueydan
Durée : 50 mn
Le 11 Avignon • 11, bd Raspail • 84000 Avignon
Du 9 au 26 juillet 2023 (sauf les 13 et 20), à 11 heures
De 9 € à 22 €
Réservations : 04 84 51 20 10
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 9 au 26 juillet 2023
Plus d’infos ici

La Langue de mon père, de Sultan Ulutas Alopé

Compagnie Bureau des filles
Texte et mise en scène : Sultan Ulutas Alopé
Collaboration à la mise en scène : Jeanne Garraud
Avec : Sultan Ulutas Alopé
Son : Pierre Lemerle
Lumières : Vincent Chrétien
Durée : 1 h 10
La Manufacture • 2 bis, rue des Écoles 84000 • 84000 Avignon
Du 7 au 23 juillet 2023 (sauf le 19), les jours impairs, à 18 heures
De 8 € à 18,50 €
Réservations : 04 90 85 12 71
Dans le cadre du Festival Off d’Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici
Tournée :
• Le 8 septembre, Festival Les Accueillantes, à Saint-Marcel Bel Accueil
• Du 23 janvier au 2 février 2024, Théâtre national de Strasbourg
• Le 6 février, La Mouche, à Saint-Genis Laval
• Du 12 au 14 mars, Théâtre de la Croix-Rousse, à Lyon

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