Le nouveau Decouflé est beaucoup moins facétieux
Par Jean‑François Picaut
Les Trois Coups
Depuis 2010, Philippe Decouflé est artiste associé au Théâtre national de Bretagne, dont il était déjà un habitué. C’est donc tout naturellement qu’il a créé à Rennes sa dernière pièce, qui a séduit plus qu’elle n’a surpris.
Octopus, en grec ou en anglais, c’est le poulpe, la pieuvre. C’est aussi le titre du nouveau spectacle de Decouflé. Faut‑il y voir un hommage à ses huit danseurs ou une allusion à l’un des poèmes chorégraphiques (il y en a au moins huit) qui composent le nouvel opus, qui pourrait être le huitième ? Difficile à trancher.
Quelques titres gardent la trace de l’esprit farceur, un peu potache, de leur créateur (Shiva pas, Hélas tique ou l’Argothique), mais l’esprit est plutôt à la gravité (Jalousie, Boîte noire ou Squelettes). Dans un décor (de Pierre‑Jean Verbraeken) encadré d’ogives aux motifs orientalisants, on retrouve les éléments habituels de la grammaire chère à Decouflé : jeu sur le noir et le blanc, corps sculptés par la lumière, utilisation de la vidéo et de la lumière noire, etc. Ici, ils sont délibérément utilisés pour produire de la beauté plastique.
Perfection formelle
Comme toujours chez Decouflé, on emporte avec soi des images, des scènes qui s’imposent à l’esprit autant par leur perfection formelle que parce qu’elles ouvrent la porte au rêve. C’est d’abord cette somptueuse pièce où une danseuse, dont le corps est divisé en deux parties longitudinales, l’une noire et l’autre blanche, finit par nous faire douter de son unicité. C’est ensuite cette femme et ses complices (Shiva pas ?) qui réussissent à matérialiser une déesse indoue aux innombrables bras ou le poulpe du titre. C’est cette crucifixion qui fait aussi penser au Radeau de la Méduse. C’est cet usage des cordes, bâillons et entraves qui produisent de si beaux effets sur le sol et sur l’écran grâce aux caméras infrarouges.
Le passage par le Crazy Horse a également laissé des traces avec ses danseuses aux seins nus ou cette robe qui habille à merveille le côté face et ne laisse rien ignorer du côté pile, entièrement nu. On lui doit sans doute ce superbe ballet où les huit interprètes arborent des talons aiguilles. Ce morceau de bravoure, véritable hymne à la jambe, est aussi un bel exemple de mélange du code des genres, cher au créateur.
Il y aurait quelque injustice à ne pas saluer la part de la musique dans ce spectacle. Elle est interprétée en direct par son créateur, Labyala Nosfell, accompagné de Pierre Lebourgeois (piano, cordes et percussions). La voix de Nosfell, qui passe sans effort apparent d’une sorte de falsetto aux sonorités rauques d’un rock dur, et ses performances à la guitare, font de sa partition un élément indissociable de l’ensemble de l’œuvre. Le moment le plus emblématique en est sans doute la réinterprétation du Boléro.
Octopus, qui sait mettre en images l’alchimie du désir, en montre aussi la part mortifère. Plus sombre que les œuvres précédentes du chorégraphe, son dernier ouvrage a su plaire à un public fidèle sans vraiment le faire chavirer. ¶
Jean‑François Picaut
Octopus, de Philippe Decouflé
Mise en scène et chorégraphie : Philippe Decouflé
Assistante : Jessica Fouché
Musique originale et interprétation en direct : Labyala Nosfell, Pierre Lebourgeois
Danseurs : Flavien Bernezet, Alexandre Castres, Meritxell Checa Esteban, Ashley Chen, Clémence Galliard, Sean Patrick Mombruno, Alexandra Naudet, Alice Roland
Participation cathodique : Christophe Salengro
Textes : Christophe Salengro, Ghérasim Luca (Hermétiquement ouverte, avec l’autorisation des éditions José Corti)
Création lumières : Patrice Besombes, assisté de Begoña Garcia Navas
Conception vidéo et films : Philippe Decouflé, Laurent Radanovic, Olivier Simola, Christophe Waksmann
Création décor : Pierre‑Jean Verbraeken
Création costumes : Jean Malo
Construction et régie plateau : Léon Bony, Pascal Redon
Création et régie son : Édouard Bonan, Jean‑Pierre Spirli
Direction de production : Frank Piquard
Direction technique : Lahlou Benamirouche
Administration de production : Valérie Kula, assistée de Juliette Medevielle
Réalisation costumes : Cécile Germain, Peggy Housset, Louise Le Gaufey
Construction : Atelier François-Devineau, Franck Lebarbe, Julien Roche (masques)
Maquettes et graphisme : Valérie Bertoux, Aurélia Michelin
Photo : © Cie D.C.A.
Production : Cie D.C.A.
Coproduction Théâtre national de Bretagne-Rennes, Théâtre national de Chaillot, Movimentos Festwochen der Autostadt in Wolfsburg, la Coursive-scène nationale de La Rochelle, Torinodanza, Théâtre de Nîmes
Théâtre national de Bretagne, salle Vilar • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31
Du 5 au 16 octobre 2010 à 20 heures sauf les 10 et 11 octobre 2010
Durée : 1 h 30
24 € | 12 € | 10 €