« Paroles gelées », d’après François Rabelais, Théâtre national de Toulouse ‑ Midi‑Pyrénées

Paroles gelées © Polo Garat / Odessa

Rabelais au goût du jour !

Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups

Artiste invité du T.N.T., Jean Bellorini crée l’une des belles surprises de cette saison avec « Paroles gelées », une adaptation de l’œuvre de Rabelais. « Un gros morceau », pensez-vous ? Certes, mais pas du tout indigeste. Au contraire, on en redemande.

Ah, Rabelais, héraut de la culture populaire ! Ses géants va-de-la-gueule, ses agapes inégalées et ses petits contes inspirés des meilleures histoires de chevalerie. Toute une matière abondante dans laquelle Jean Bellorini a décidé de barboter pour réaliser sa dernière création. Pourtant, de ce Rabelais d’Épinal, que l’on reconnaît à sa signature scatologique ou aux éléments de gigantisme, il y aura juste ce qu’il faut. À savoir une introduction aussi graveleuse que finement écrite, durant laquelle deux comédiens de la compagnie Air de lune, lancent à la cantonade : « Connaissez-vous les meilleures façons de se torcher le cul ? ». Avant, bien entendu, que la suite nous renseigne.

Le reste, principalement emprunté au Quart livre mais pas seulement, évite l’écueil de la seule gaudriole. Très vite, bas-ventre et bons mots sont un peu délaissés au profit de la leçon humaniste de 1530, des accents métaphysiques de l’œuvre ou encore de l’hymne à la Renaissance (chanté par Gargantua à son fils via un poste de radio). Mieux, si l’on rit toujours à gosier déployé, on goûte tout autant les purs moments de poésie et on boit à la régalade les différents enseignements de ce voyage initiatique qui nous conduira finalement à la « dive bouteille »…

In aqua veritas

Comment une telle prouesse ? Grâce au théâtre, évidemment. À sa capacité à mettre les mots en volume et en couleur. À sa machinerie, à la magie de ses ressources narratives. Au talent de ses serviteurs pour lesquels Jean Bellorini a concocté une mise en scène à la (dé)mesure de leur talent (un peu comme Irina Brook quand elle reprend Homère ou Shakespeare à sa sauce). Car, s’ils sont de magnifiques comédiens, souvent désopilants, les interprètes ont ici bien d’autres cordes à leur arc : chant pop rock, art lyrique, danse, musique. Toutes les muses modernes ou presque sont de la fête ! Tout ce petit monde, treize artistes au total, patauge en prime dans un décor-fontaine, révélant au fil de l’eau, les chapitres nombreux d’une épopée haletante : la visite des entrailles de Pantagruel, le voyage en mer et le célèbre épisode des moutons de Panurge, la guerre contre les Andouilles, la scène de tempête…

Bref, on aime ce Rabelais actuel, qui chante et qui danse. Qui panache les codes de l’humour contemporain * à l’invention verbale de l’auteur, et parvient six siècles après la création d’une œuvre à en restituer l’aura. Respectueuse juste ce qu’il faut, désinvolte par connaissance de l’œuvre et de l’auteur, cette adaptation réussit sans peine à dégeler les mots d’une littérature dite classique. Elle nous épargne l’indigestion sans nous laisser sur notre faim. Bref, pas de gros bide pour les géants. Au contraire. Un triomphe. 

Bénédicte Soula

* Quelle drôlerie, par exemple, que les interventions incessantes de Camille de la Guillonnière dans la narration. Campant une sorte de Monsieur Note de bas de page, il est le trait d’union hilarant entre le xvie et le xxie siècle…


Paroles gelées, d’après François Rabelais

Cie Air de lune

Mise en scène : Jean Bellorini

Avec : Marc Bollengier, François Deblock, Patrick Delattre, Karyll Elgrichi, Samuel Glaumé, Benjamin Guillard, Camille de la Guillonnière, Jacques Hadjaje, Gosha Kowalinska, Clara Mayer, Geoffroy Rondeau, Juliette Roudet, Hugo Sablic

Adaptation : Camille de la Guillonnière et Jean Bellorini

Scénographie : Laurianne Scimemi et Jean Bellorini

Costumes : Laurianne Scimemi

Assistante costumes : Delphine Capossela

Composition musicale : Jean Bellorini, Marc Bollengier, Patrick Delattre, Hugo Sablic

Son : Joan Cambon

Construction des décors : ateliers du T.N.T. sous la direction de Claude Gaillard

Régisseur général : Paul Boggio

Régisseur son : Valérie Leroux

Régisseur plateau : Pierre Bourel

Stagiaire costumes : Élodie Michot

Photo : © Polo Garat / Odessa-D.S.C.

Diffusion : Jean‑Baptiste Pasquier, bureau FormArt

Production déléguée : T.N.T.-Théâtre national de Toulouse – Midi‑Pyrénées

Coproduction : Cie Air de lune, T.G.P.-C.D.N. de Saint‑Denis, Arc en scènes-La Chaux‑de‑Fonds

Théâtre national de Toulouse – Midi‑Pyrénées • 1, rue Pierre Baudis • 31000 Toulouse

Réservations : 05 34 45 05 05

www.tnt-cite.com

Du 11 au 21 janvier 2012, à 19 h 30 du mercredi au jeudi, à 20 h 30 les vendredi et samedi

Durée : 2 h 15

23 € | 18 € | 14 €

Reprise

Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin‑D.‑Roosevelt • 75008 Paris

01 44 95 98 21

Du 7 mars au 4 avril 2014 à 21 heures

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories