Un monde merveilleux
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Pour ce quatrième épisode du « Graal Théâtre », sans modifier l’esthétique choisie pour les précédents, Christian Schiaretti confirme sa familiarité avec la littérature et l’imagerie médiévales. Il excelle à nous en faire découvrir les méandres et les délicatesses.
Cette année, c’est donc au tour de Christian Schiaretti, après Julie Brochen avec laquelle il partage ce Graal Théâtre, amoureusement réécrit par Florence Delay et Jacques Roubaud, de mettre en scène un épisode de la saga des chevaliers de la Table ronde, dont on croit tout connaître car Lancelot, Merlin et Arthur ont peuplé nos enfances. Mais on a oublié, et souvent méconnu, d’autres personnages pittoresques comme Gauvain ou Perceval, qui croisent dans leur quête nombre de demoiselles aux noms évocateurs, Hideuse, Tristouze ou Demoiselle aux seins nus, ou de chevaliers, Agravain, Vermeil, de rois…
Pour cette quatrième pièce, il a conservé l’esthétique à laquelle tous deux nous ont habitués : un décor immense dans lequel l’homme, fût-il chevalier, est peu de choses, une nature omniprésente et stylisée avec quelques clins d’œil aux célèbres tapisseries de Bayeux, elles aussi flottant quelque part dans nos souvenirs… Un décor qui, durant tout le début du spectacle, semble à deux dimensions avec des personnages qu’on voit de profil, toujours accompagnés de leur cheval, ce dernier interprété par un comédien portant masque et semblant doué de sentiments et même de caractère. Car, dans ce monde, les animaux ne sont pas loin des hommes, ils en partagent la vie, et le merveilleux qui imprègne les existences les touche aussi. Christian Schiaretti a fort bien réussi les scènes où le lion et le cheval semblent éprouver l’un pour l’autre des sentiments… amoureux, se frôlant, se caressant le museau, faisant des mines, scènes charmantes et amusantes, pleines de fraîcheur et d’humour.
Souvenirs d’histoire
Perceval est un jeune et bel athlète, élevé jalousement par une mère qui l’a maintenu à l’écart des hommes (et des femmes, il va sans dire) par crainte qu’il ne connaisse le sort de son père et de ses frères, tous trois chevaliers tués au combat. Ignorant, Perceval est devenu plutôt simplet. Il ne sait même pas qu’il a un nom et croit s’appeler « Cher fils ». C’est ainsi qu’il prend les premiers chevaliers qu’il rencontre dans la forêt pour des anges et s’adresse au roi comme à n’importe quel pair. Jamais sa mère ne lui a raconté les exploits d’Arthur ni les enchantements de Merlin. En revanche, Perceval vit dans la proximité de la nature, côtoie cerfs et biches, parle avec les oiseaux. Il s’exerce au javelot et fortifie son corps, ce qui va faire de lui un adversaire redoutable quand un chevalier trop hardi croira ne faire qu’une bouchée de ce naïf.
Évidemment, il ne connaît aucun usage du monde, ce qui le conduira à commettre bien des impairs, comme prendre sept baisers à une demoiselle et ainsi provoquer la jalousie de l’ami de la jouvencelle qui se verra condamnée, par la faute bien involontaire de Perceval, à une vie d’opprobre et de misère. Ce cœur pur sera digne d’approcher le Graal, mais ne saura pas le reconnaître, et il lui faudra encore bien des aventures pour comprendre que le Graal ne se possède pas, mais s’approche par une voie spirituelle plutôt qu’héroïque. Au passage, Perceval sera tombé amoureux de Blanchefleur, l’aura défendue contre Clamadeu qui l’assiège (au propre comme au figuré), aura perdu sa chasteté avec la Demoiselle aux seins nus, aura rencontré le Roi pêcheur (qui transporte le Graal invisible) dans une barque la nuit, aura poursuivi une biche blanche et trois gouttes de sang perlant au bout d’une lance, aura livré maints combats, sera tombé dans des pièges…
Mémoire de la langue
Pour suivre cette histoire pleine de rebondissements et de mystères qui s’enchaînent sans réel souci de vraisemblance, le spectateur doit avoir gardé ou en tout cas convoquer son âme d’enfant. Il pourra ainsi suivre ces aventures tour à tour amoureuses et guerrières, mais toujours chevaleresques et savoureuses, grâce au jeu sobre mais très efficace des comédiens. Il faut reconnaître une fois de plus au metteur en scène son habileté à diriger une troupe et à lui faire animer l’espace.
Au long de cette intrigue échevelée, c’est tout le monde de la chevalerie et les débuts de l’amour courtois que Christian Schiaretti dessine devant nos yeux, faisant apparaître dans le même temps dans sa scénographie la perspective et le volume. Les personnages prennent de l’épaisseur, et même une véritable identité. L’humour en profite pour surgir, et l’on rit souvent à ce Perceval. Enfin, un invité apparaît dans cette Table ronde : le narrateur Chrétien de Troyes, qui nous lit l’histoire dans le texte, nous faisant mesurer en un clin d’œil tout le temps parcouru… ¶
Trina Mounier
Perceval le Gallois, 4e pièce du Graal Théâtre, de Florence Delay et Jacques Roubaud
Création T.N.P. / T.N.S.
Mise en scène : Christian Schiaretti, avec la complicité de Julie Brochen
Avec : Antoine Hamel (1), Muriel Inès Amat (2), Laurence Besson (1), Fred Cacheux (2), Jeanne Cohendy, Julien Gauthier (1), Damien Gouy (1), Ivan Hérisson (2), Maxime Mansion (1), David Martins (2), Clément Morinière (1), Xavier Legrand, Juliette Plumecocq‑Mech, Yasmina Rémil (1), Clémentine Verdier (1)
(1) Comédiens de la troupe du T.N.P., (2) comédiens de la troupe du T.N.S.
Scénographie et accessoires : Fanny Gamet, Pieter Smit
Lumières : Olivier Oudiou
Assistant à la lumière : César Godefroy (élève de l’École du T.N.S.-Groupe 41)
Costumes : Sylvette Dequest, Thibaut Welchlin
Coiffures, maquillage : Catherine Nicolas
Son : Laurent Dureux
Masques : Erhard Stiefel
Assistant à la mise en scène : Baptiste Guiton
Assistant-élève de l’E.N.S.A.T.T. : Adrien Dupuis-Hepner
Stagiaire à la dramaturgie : Pierre Causse
Photos : © Michel Cavalca
Production Théâtre national populaire, Théâtre national de Strasbourg
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex
Réservations : 04 78 03 30 00
Du 15 au 27 avril 2014, du mardi au vendredi à 20 heures, samedi 26 à 20 heures, dimanche 27 à 16 heures
Durée : 1 h 50
24 € | 18 € | 13 € | 8 €
Tournée :
– Du 6 au 13 mai 2014 au T.N.S. à Strasbourg