Genré n’est pas joué !
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
La compagnie Deug Doen Group s’essaie à une adaptation du récit « la Pluie d’été » de Marguerite Duras mais peine à convaincre.
Sur le sol noir d’un espace bifrontal, deux comédiennes finissent de tracer à la craie, comme sur une ardoise d’écolier, le plan de la ville de Vitry. Souvent visitée par Marguerite Duras qu’elle fascine, cette cité de « prolos » est le lieu où survivent Ernesto, ses parents chômeurs et ses six « brothers et sisters ». Le temps du récit, Ernesto, génie spontané, quitte progressivement les territoires de l’enfance marqués par la découverte d’un livre, la volonté de ne pas apprendre à l’école ce qu’il ne connaît pas, l’affection turbulente de ses parents, sa relation incestueuse avec sa sœur Jeanne.
Souvent dialoguée et donc propice au théâtre, cette histoire grave et drôle vaut pour ses interrogations profondes sur l’éducation, la liberté, l’exclusion sociale dans l’attente de l’inévitable départ d’Ernesto et de Jeanne vers leurs vies plus tolérables d’adultes. Il est important de rappeler ici le long cheminement de Duras qui commença par l’écriture d’un conte pour enfants intitulé Ah ! Ernesto, que lui commanda François Ruy-Vidal en 1971, pour les éditions Harlin Quist. Puis elle réalisa en 1985 un film, Les Enfants, avec Jean Mascolo, Jean-Marc Turine et Bruno Nuytten à la caméra, tourné déjà à Vitry. La Pluie d’été acheva cette sorte de trilogie en 1990 chez l’éditeur P.O.L., affirmant une fois encore la béance existentielle qu’ouvrent les questions métaphysiques posées par l’enfance.
Adapter ou réduire ?
Julie Le Lagadec et Marie Quiquempois, comédiennes, se sont associées à la metteuse en scène Aurélie Van Den Daele pour adapter le texte. Dans le souci d’actualiser le contenu, elles ont choisi d’interpréter tous les rôles masculins : Ernesto, son père et l’instituteur. Leurs voix souvent saturées, leur gestuelle imprécise et stéréotypée peinent à convaincre, ainsi que ce parti pris genré. Une autre décision pose question. Pourquoi les réalisatrices ont-elles réduit à peu de choses la relation amoureuse entre le frère et la sœur ?
On sort frustré de cette représentation d’une œuvre écrite par une femme qui aimait le vin, les hommes ET les femmes. Adapter n’est pas, au sens premier, réduire. Et l’on se prend à céder à la nostalgie de la version donnée par Éric Vigner de la Pluie d’été, en 1994. Les comédiens insufflaient au texte désespérément vivant de Marguerite Duras une étonnante énergie. ¶
Michel Dieuaide
Pluie d’été, d’après la Pluie d’été de Marguerite Duras
Adaptation : Julie Le Lagadec, Marie Quiquempois, Aurélie Van Den Daele
Mise en scène : Aurélie Van Den Daele
Avec : Julie Le Lagadec, Marie Quiquempois, et les voix de Pamela Maddaleno et Sidney Ali Mehelleb
Dispositif scénique : Collectif Invivo
Scénographie : Chloé Dumas
Lumières : Julien Dubuc
Son : Grégoire Durrande
Costumes : Elisabeth Cerqueira
Production : Deug Doen Group, Festival des Francos-Mantes-La-Jolie, Théâtre de La Nacelle-Aubergenville, Ferme du Bel Ebat-Théâtre de Guyancourt
Photo © Julien Dubuc
Théâtre de la Croix-Rousse • place Joannès-Ambre • 69004 Lyon
Réservations : 04 72 07 49 49
Du 21 au 30 novembre 2019
De 5 € à 27 €
Durée : 1 heure