« Poings », Pauline Peyrade, cie Das Plateau, Théâtre Silvia Monfort

Poings-Pauline Peyrade-cie-Das-Plateau © Simon Gosselin

La belle au bois sanglant

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Céleste Germe met en scène « Poings » de Pauline Peyrade, conte cauchemardesque où le prince est le monstre. Une belle, impeccablement interprétée, se cogne ici aux parois d’un palais des glaces créé par un dispositif pertinent et impressionnant. Un spectacle éprouvant mais fort.

À coup sûr, Pauline Peyrade n’est pas la reine du théâtre « de plage ». Ses pièces ne font pas risette de crainte de froisser des egos masculins. Mais elle ne ménage non plus pas les lecteurices ou spectateurices. Nous sommes éprouvés par des scènes étirées et des hypotyposes vertigineuses. La mettre en scène n’est pas une mince affaire. Et la première qualité de Céleste Germe est sûrement d’enfoncer le clou en refusant à son tour les concessions. Évidemment, cela ne suffirait pas pour faire une proposition, mais elle sait de plus mettre en évidence toutes les forces du texte : sa noirceur labyrinthique, sa complexité, la pulsation de vie qui y bat… malgré tout, malgré l’homme de l’histoire.

Cette dernière tient en quelques phrases : la femme qui nous parle rencontre un homme dans une rave party. Il la tient sous sa coupe, isolée, enfermée dans ce qu’il appelle amour. Il la viole. Elle reste, se haïssant de rester, jusqu’à un soir… Quelques phrases, trois ou quatre évènements, mais l’important est ailleurs. La pièce nous conduit au labyrinthe de la psyché de la femme, puisqu’elle soliloque, nous entraîne dans un rêve.

Ce songe a des allures de conte, ce qui n’a rien d’étonnant quand on songe à la création de Pauline Peyrade, comme Portrait d’une sirène : trois contes, et la prégnance malsaine du genre sur les imaginaires de filles. D’ailleurs, sur scène, tout ou presque se joue autour d’un lit. Une forêt, un lac, une belle dame qui parle à l’homme de l’autre côté d’une vitre et puis le poing de la belle qui empêche de crier : le cauchemar alors rejoint la réalité violente. C’est seulement à ce moment que l’homme entre en scène, despote ordinaire et suffisant, bien campé par Antoine Oppenheim. Auparavant, son absence aura pesé comme une ombre, comme une voix, plus qu’une présence. De toute façon, il s’agit d’elle.

Diffraction d’une femme

Pour nous faire entrer dans son monde intérieur, James Brandily a inventé une scénographie aux allures de palais des glaces. Sur ces surfaces de réflexion, la femme se diffracte, elle se parle, se hait, se querelle d’être descendue dans ce labyrinthe où elle savait le Minotaure grimé en prince. C’est un palais peut-être pour le regard extérieur. L’homme fait croire et affirme qu’il n’est « pas un monstre ». C’est aussi une cage de verre, comme le cercueil de la Belle au bois dormant ou la cage dans laquelle Arnolphe violait peut-être Agnès dans la mise en scène de L’École des femmes de Stéphane Braunschweig. Ce palais des glaces déforme la réalité transformant la femme en être apeuré, la victime en coupable honteuse.

Poings-Pauline Peyrade-cie-Das-Plateau © Simon Gosselin

C’est pourquoi la pièce bruisse de soliloques que met en évidence le jeu de Maëlys Ricordeau, au diapason avec la composition sonore de Jacob Stambach. La femme dialogue avec celle qu’elle a été, avec celle qui va chuter (comme la Belle au bois dormant tend le doigt vers le fuseau qui la perdra). Elle lui parle aussi mais nous seul.es entendrons, les mots qu’elle n’osera lui dire. Ainsi, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la pièce passerait le test de Bechdel. Elle est vécue, racontée par une femme qui dialogue avec elle-même. Comme le soulignent les premiers mots : « Je suis partie de très loin pour arriver jusqu’à moi ».

Anatomie d’une fuite

Au labyrinthe descendue, la belle ne s’est pas trouvée mais perdue. Et pour un temps, nous le sommes aussi. La pièce nous égare pour nous assommer d’un coup de poing soudain. Elle a des décélérations hypnotiques qui nous rendent aussi hagards qu’elle. Certains spectateurs n’y résisteront pas. Puis, elle accélère, comme le sang revient aux joues. Si la mise en scène de Céleste Germe prend le risque (un vrai risque) de nous mettre à distance en éloignant les comédiens dans une boîte, en nous plongeant dans l’obscurité du conte, elle accompagne aussi le mouvement de fuite de la protagoniste, Maëlys Ricordeau rejoint notre monde des vivants. Apparue comme un hologramme, un fantôme pendant longtemps, elle reprend chair. L’alouette a fini de se heurter aux faux reflets.

Dans Triste Tigre, Neige Sinno pose la question de savoir si on peut faire de l’art sur l’immonde. L’écriture de Pauline Peyrade, comme la mise en scène de Das Plateau, apportent une réponse. Dans la pièce, la femme affirme – moment magnifique – que non, il n’y a pas de pureté dans la violence, que, non, ce n’était pas de l’amour. Le spectateur sort, lui, de la pièce d’autant plus ébranlé que l’écriture et la mise en scène, conjuguant complexité et radicalité, lui ont fait ressentir la laideur et la violence. 🔴

Laura Plas


Poings, de Pauline Peyrade, de la cie Das Plateau

Le texte est édité chez Les Solitaires Intempestifs
Site de la compagnie
Mise en scène : Céleste Germe
Avec : Antoine Oppenheim et Maëlys Ricordeau
Composition musicale et direction du travail sonore : Jacob Stambach
Scénographie : James Brandily
Création lumière : Sébastien Lefèvre
Dispositif son et vidéo : Jérôme Tuncer
Création vidéo : Flavie Trichet-Lespagnol
Durée : 1 h 15
Dès 15 ans

Théâtre Silvia Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris
Du 26 avril au 4 mai 2024, mardi et vendredi à 20 heures, samedi à 18 heures et dimanche à 15 heures (relâche le lundi)
De 5 € à 26 €
Réservations : 01 56 08 33 88 ou en ligne

Dans le cadre du Focus Das Plateau, du 26 avril au 18 mai 2024

À découvrir sur Les Trois Coups :
Contrôle X, de Pauline Peyrade, par Léna Martinelli
Des Femmes qui nagent, de Pauline Peyrade, par Laura Plas

Photos © Simon Gosselin

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