Une fête républicaine
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Depuis le 24 avril et jusqu’au 28 mai 2015, se déroule à Lyon la huitième édition d’un festival décalé et engagé arborant le beau titre de « Printemps d’Europe ». À sa tête le, metteur en scène Renaud Lescuyer. Il porte avec ses compagnons un projet artistique original. Et ce malgré les tensions agitant l’Europe et le soutien parfois médiocre de certains partenaires institutionnels.
Brève histoire
La première tenue de Printemps d’Europe eut lieu en 2008. Elle fut et reste le résultat de la conjonction d’une histoire personnelle forte et de la rencontre de plusieurs acteurs expérimentés dans le champ artistique. Du parcours de Renaud Lescuyer il faut retenir son statut d’insoumis, le choc initiatique de la chute du mur de Berlin et beaucoup plus tôt son tour d’Espagne en auto-stop qui lui fit découvrir la bêtise du racisme face aux sculptures de l’Alhambra de Grenade. Des relations nouées, compte particulièrement celle d’avec José Guinot, introducteur des œuvres de Franca Rame et Dario Fo en France. Comptent aussi, de façon paradoxale, devant la molle candidature de la ville de Lyon au titre de Capitale européenne de la culture en 2007, ses discussions avec Patrick Penot, Michel Tallaron et Thierry Auzer tous trois aiguillonnés par un désir et une analyse communes de proposer des initiatives afin de lutter contre la sensation d’enfermement sur leur territoire des artistes rhônalpins.
Ainsi s’imposera sans précipitation la décision de créer Printemps d’Europe en mariant projet artistique, volonté de transformer rapports entre artistes et nouveaux publics et passion pour l’hospitalité. Sur ces bases seront lancées les premières invitations à des compagnies venues de Pologne, d’Italie et de Grèce. Grâce à l’appui du théâtre Les Célestins et du Théâtre des Asphodèles naîtra un festival conçu comme une plate-forme de coopération théâtrale, un espace d’échanges entre les citoyens d’un territoire spécifique, un lieu de partage où les habitants accueilleront chez eux les participants.
Précaire et vivace aujourd’hui
En 2015, la puissante image inventée par le graphiste Bruno Théry servant d’affiche à Printemps d’Europe montre clairement le sens profond de l’aventure de la manifestation. Sur la tête d’une « bête immonde » dominent les terrasses d’une tour de Babel. Résister, ne rien lâcher par l’usage des langues dans une Europe qu’on ne peut réduire à l’application des accords de Schengen. Renaud Lescuyer revendique pour son projet d’être une fête républicaine héritière, toute proportion gardée, de l’historique Fête de la Fédération. Les compagnies choisies, en provenance d’Albanie, d’Italie, de Pologne, du Portugal, de Belgique et de France, s’exprimeront, pour les plus lointaines, dans leur langue d’origine accompagnée d’un sous-titrage. Témoigner de l’ailleurs est une priorité qui culminera, par exemple, lors d’une journée « Charivari » où se mêleront théâtre, musique, danse, cuisine et artisanat. Au noble sens du terme, ce minestrone culturel doit beaucoup à l’influence de deux personnalités telles qu’Abraham Bengio et Jean‑Louis Sackur. Le premier a parrainé en 2010 la rencontre avec Claude Sicre, figure emblématique de l’Occitanie, fondateur des cafés-philo, des repas de quartier et du rap occitan. Le second a encouragé l’idée de la création partagée entre professionnels, amateurs et participants occasionnels, en collaboration avec la comédienne et metteuse en scène Catherine Le Jean.
Printemps d’Europe est devenu au fil de ses éditions un lieu d’expertise en matière d’expérimentation de pratiques inédites pour mieux tricoter les liens entre théâtre et publics nouveaux. Face à la crise qui lui impose des moyens insuffisants, le festival poursuit son objectif politique et ambitieux de soutenir le théâtre autrement. Un théâtre qui inclut plus qu’il n’exclut. Subventionné essentiellement par la région Rhône-Alpes, avec l’aide des instituts étrangers de Lyon et de nombreux bénévoles, Printemps d’Europe maintient sa croissance. Dédié cette année à la mémoire de Pier Paolo Pasolini et avec pour marraine l’artiste militante Teresa Ricou de la Companhia do Chapitô de Lisbonne, il garde le cap de sauter allègrement par-dessus toutes les frontières. ¶
Michel Dieuaide
Printemps d’Europe
Europe et Cies • 25, avenue des Frères-Lumière • 69008 Lyon
Site : www.europeetcies.eu
Tél. 04 78 01 27 41
Courriel : europeetcies@free.fr
Tarifs : 14 et 10 euros
Photo de Mumerus : © Sylwia Domin
Photo de « Charivari » : © Émile Zeizig
Photo de Madame Marguerite : © Théâtre national de Tirana
Photo de Hamlet à « Charivari » : © Émile Zeizig
Photo de « Charivari » : © Émile Zeizig