« Racontars Arctiques », collectif La Ruée vers l’or, Le Mouffetard, Paris

RacontarsArctiques_© La ruee vers l’or

Tronches de vie

Laura Plas
Les Trois Coups

Inspiré de la bande-dessinée éponyme, « Racontars Arctiques » s’affranchit souvent heureusement de ses cases grâce à des marionnettistes devenus conteurs et acteurs. Porté par une histoire et une belle partition sonore, le spectacle décolle pour un Grand Nord haut en couleurs.

Un racontar, c’est connu, ça se colporte, ça voyage. Ils en est ainsi des racontars arctiques, récoltés dans le Grand Nord par le jeune Jørn Riel dans les années 50. Ils sont devenus sous sa plume histoires. Puis leur truculence, leur aspect imagé, a engendré une BD dont Gwen de Bonneval a signé le scénario et Hervé Tanquerelle les dessins. Et les voici aujourd’hui rapportés depuis le Québec, par la talentueuse équipe de marionnettistes de la Ruée vers l’Or. Sacré périple pour tout un peuple de trappeurs bourrus et tendres ! Sacré défi que de donner vie sur scène à une galerie si foisonnante ! Le très beau bric-à-brac exposé en début de spectacle en atteste : il nous présente un poétique ouvroir à histoires.

C’est sur l’univers visuel que le collectif (et Anne Lalancette en tête) a choisi de se focaliser pour nous proposer une adaptation plastiquement très aboutie. On a bien l’impression que les personnages se sont évadés de leur case, pour, gonflés de mousse, trouver toute leur épaisseur dans des marionnettes émouvantes. Leurs visages évoquent ce peuple d’hommes sculptés par le désert blanc où la Compagnie les a envoyés. Y est dépeint un monde viril où la présence féminine n’est qu’un souvenir ou un fantasme. C’est délicat et discret.

Souffler le froid et la chaleur humaine

Comme d’une planche à une autre, on change de registre, le spectacle fait passer par tout le spectre des émotions, versant une larme pour une disparition, retenant son souffle quand le milieu hostile menace la vie d’un personnage, mais riant aussi beaucoup. Le changement va parfois aussi vite que la patte d’un ours. Et même souvent, rires et sanglots se mêlent. Il en est ainsi d’une fête de funérailles d’anthologie. On ne saurait se priver d’une occasion de se réchauffer au feu de l’amitié. Le collectif a même l’audace de nous faire palper l’ennui, dans des ruptures de rythmes audacieuses où l’intime et les gestes les plus quotidiens s’invitent. Un homme ravaude en pensant à sa défunte épouse, un autre plume une bête, un troisième fait chauffer de l’eau.

Et puis, la diversité des racontars permet de mettre en évidence l’inventivité et l’ingéniosité des personnages. Le spectacle commence par une petite genèse. Une table, un drap et le Groenland fut. Pas besoin de Dieu : des interprètes malins épaulés par un bruiteur plus que doué suffisent. Avec la fluidité du traîneau qui glisse sur la neige, des tables roulantes nous font passer d’un lieu à un autre.

Racontars Arctiques © La ruee vers l’or

Heureusement, le spectacle prend aussi des libertés avec sa source graphique. Le personnage de Pedersen, pas encore figuré par Hervé Tanquerelle, se démarque par sa facture. Tout en rondeur, en enfance encore, il touche. Et même si un roman d’initiation le rendra à la communauté « des hommes faits » (chasseurs exterminateurs de gibier), sa facture lui garde un peu de tendresse. Il conserve cette innocence que la voix et le jeu de Jérémie Desbiens rendent si bien aussi. Surtout, la Ruée vers l’Or parvient à s’échapper de l’anecdote enserrée dans la case de BD. Dans ce genre, le fil narratif peut se couper, on ne s’en formalise pas : on passe d’une planche à une autre à sauts et à gambades. En revanche, ça marche moins bien au théâtre.

Si on doit émettre une réserve sur le spectacle, c’est cela. Parfois, trop fidèle, l’adaptation nous lâche la main. Collectionnant les vignettes, nous pouvons nous sentir un peu perdus. Par contre, quand nous suivons des histoires (celle de Pedersen, celle tragi-comique de Museau), nous sommes happés par le spectacle. Conscients de cette difficulté, les artistes nous offrent une forme originale. D’abord, la création musicale d’Alexandre Harvey, pleine d’humour et de fantaisie crée un fil, comme au cinéma. Ensuite, les manipulateurs sont aussi acteurs. Ils ne s’abolissent pas derrière leurs marionnettes, mais les dédoublent. Leurs visages s’animent comme leurs corps et leur voix. Ils sont excellents.

Par ailleurs, la mise en scène offre une proposition originale et pertinente sur les dimensions différentes des marionnettes et leurs types. L’’emploi de tronches de bêtes ou d’humains présente comme des gros plans. Or, le jeu des acteurs contribue à ce jeu d’échelles. Les décalages créés sont plein de fantaisie et d’humour : une belle signature originale et gorgée du lait de la tendresse humaine.

Laura Plas


Racontars arctiques, du collectif La Ruée vers l’or

La Bande dessinée scénarisée par Gwen de Bonneval et dessinée par Hervé Tanquerelle, à partir de Jørn Riel est éditée aux éditions Sarbacane
Site du collectif
Mise en scène et adaptation : Anne Lalancette et Francis Monty, avec la collaboration de Jérémie Desbiens, Simon Landry-Desy et Alexandre Harvey
Avec : Jérémie Desbiens, Frédéric Jeanrie et Anne Lalancette
Durée : 1 h 30
Dès 9 ans

Le Mouffetard centre national de la marionnette • 73, rue Mouffetard • 75005 Paris
Du 13 au 23 novembre 2024, du mardi au vendredi à 20 heures, samedi à 18 heures et dimanche à 17 heures
De 13 € à 20 €
Réservations : 01 84 79 44 44 ou en ligne

Tournée :
• Le 26 novembre, Théâtre Halle Roublot, à Fontenay-sous-Bois (94)

Photos : © collectif La Ruée vers l’or

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