Funambule
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Sylvain Maurice adapte le poignant roman de Maylis de Kerangal, « Réparer les vivants », avec une audace, un sens de l’épure et une profonde intensité, le tout porté par un comédien virtuose, un acrobate du théâtre : Vincent Dissez.
La grande réussite du metteur en scène tient d’abord à l’adaptation. D’un roman de presque 300 pages d’une écriture nerveuse, tendue, haletante, Sylvain Maurice tire une heure vingt de théâtre. Il part de la mort brutale d’un jeune homme, Simon Limbres, pour raconter la trajectoire de son cœur jusqu’à sa transplantation finale dans le corps d’une autre. Il réduit la voilure sans rien sacrifier, ne conservant du livre que les personnages centraux : le père, la mère de Simon, le médecin réanimateur, Pierre, et l’infirmier accompagnateur, Thomas, le chirurgien, la femme qui va recevoir le don d’organe, Claire… Il gomme les histoires annexes pour centrer le récit d’abord sur Simon, son amour de la mer et de la vie, sur la douleur de ses parents et leur cheminement vers l’acceptation, puis sur les étapes qui, en quelques heures, vont conduire de la mort à une autre vie. Surtout, il confie à Vincent Dissez tous ces rôles.
Car nous n’assistons pas à une lecture, mais à une mise en théâtre avec une succession de récits, de monologues intérieurs et de dialogues. Ils s’enchaînent de façon si fluide et si évidente que l’on suit sans peine tout ce qu’exprime le comédien. Or ce qui se dit est violent, chargé d’émotion et chaotique.
Le rythme des sentiments
Sur le plateau, une boîte enserre un tapis roulant. Noir sur fond noir. Sur ce tapis – une invention scénographique d’une efficacité diabolique signée Éric Soyer – le comédien va, face à nous, dire son texte. Le tapis est mobile. Ses mouvements suivent le rythme des sentiments comme celui des urgences médicales : Vincent Dissez y court, trébuche, toujours à la limite de l’équilibre, tel un funambule. L’extraordinaire difficulté de sa prestation, presque chorégraphique, et le risque qui l’accompagne, liés à la précision millimétrée du dispositif, suscitent un sentiment de vertige devant l’inéluctable, l’accélération du temps, puis, tout d’un coup, le suspens. Alors, les lumières imaginées par le scénographe semblent aspirer le comédien, le noyer, pour le propulser de nouveau. Rarement la sophistication d’un dispositif aura conduit l’épure à ce point, renforcé l’écoute du texte et permis à l’émotion de se développer.
Surplombant la boîte noire, Joachim Latarjet, tel un magicien, campe sur les décors. Il nuance les atmosphères grâce à sa batterie, son synthé, son saxophone et sa guitare. Il accompagne le comédien, guide ses pas, entre dans les méandres de ses pensées, faisant se profiler des images. Il module l’accélération du temps, compense la technicité du jargon et des gestes médicaux, le prosaïsme des détails. Il colore la voix de Vincent Dissez, en osmose avec le comédien.
Cet éblouissant spectacle, à la fois sobre et d’une grande fragilité, puissant comme une lame de fond, repose sur un montage incroyablement méticuleux et savant. Il s’efface au bénéfice du beau texte de Maylis de Kerangal, interprété avec une grande sensibilité par un comédien magistral. ¶
Trina Mounier
Réparer les vivants, d’après le roman de Maylis de Kerangal
Éditions Verticales
Version scénique et mise en scène : Sylvain Maurice
Avec : Vincent Dissez et Joachim Latarjet
Assistant à la mise en scène : Nicolas Laurent
Scénographie : Éric Soyer
Lumières : Éric Soyer assisté de Gwendal Malard
Composition originale : Joachim Latarjet
Costumes : Marie La Rocca
Son : Tom Ménigault
Construction du décor : Artcom atelier
Programmé en collaboration avec le Théâtre des Célestins
Théâtre Nouvelle Génération, Les Ateliers • 5, rue du Petit-David • 69002 Lyon
Réservations : 04 72 53 15 15
Du 1er au 9 juin 2017 à 20 heures
Durée : 1 h 20
De 12 à 20 €
Tournée
- Du 14 au 24 juin, au Théâtre des Abbesses, Paris, Tel. : 01 42 74 22 77
- Du 1er au 3 février 2018, au Théâtre-Sénart, scène nationale
- Le 6 février, Espace 1789, à Saint-Ouen
du 8 au 9 février, au Carré magique, pôle national des arts du cirque en Bretagne, Lannion - Le 13 février, à L’Orange bleue, Eaubonne
Le 16 février, Théâtre des Bergeries, à Noisy-le-Sec - Le 21 février, au Salmanazar, Épernay
- Le 27 février / MA, scène nationale du Pays de Montbéliard
- Du 6 au 9 mars, à l’Hexagone, scène nationale arts sciences
- Du 12 au 14 mars, à la Passerelle, scène nationale de Gap
- Du 19 au 20 mars, au Théâtre le Kiasma, Castelnau-le-Lez
- Le 26 mars, au Théâtre des Quatre saisons, Gradignan
- Du 29 au 30 mars, au Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire
- Le 6 avril, au Moulin du Roc, scène nationale de Niort
- Le 10 avril, au Théâtre, scène conventionnée de Laval
- Du 12 au 14 avril, à la Soufflerie, scène conventionnée de Rezé
en coréalisation avec le Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique - Le 19 avril, au Théâtre du Pays de Morlaix
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Réparer les vivants, mes Emmanuel Noblet, par Léna Martinelli