La révolution n’est plus ce qu’elle était
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Voici des hymnes, des chansons qui ont rythmé les luttes et les révolutions passées. Portent-elles encore un sens pour l’action d’aujourd’hui ?
Après avoir fait un cabaret de chansons politiques, à la fin de la pièce Nos occupations, David Lescot et Norah Krief ont eu l’envie de se replonger dans cet univers. Pour cette Revue rouge, « nous sommes allés chercher », dit David Lescot « ces chansons très rouges, très prolétariennes, très engagées, très militantes [que] Norah Krief et moi […] avons chantées quand nous étions enfants dans des colonies de vacances “progressistes”. Ce n’étaient pas exactement les mêmes colos, mais elles se ressemblaient beaucoup ». Une confrontation avec le monde d’Éric Lacascade va agrandir un peu le champ, et le tour est joué.
Les textes retenus sont signés Brecht, Roda-Gil, Montéhus, Ferré, Pussy Riot mais aussi Quilapayún, Alarcón ou… Lescot. La musique a été revue pour s’adapter à un orchestre de couleur plutôt rock. Tous les arrangements sont réalisés par David Lescot.
Sur un plateau dénudé, le concert commence avec un grand classique, El pueblo unido jamás será vencido, et déjà le doute s’installe dans mon esprit. La chanson, emblématique de la résistance chilienne, est interprétée avec beaucoup de conviction par Norah Krief, mais la salle ne reprend pas, nul poing dressé : on est dans la commémoration, pas dans la célébration.
Le rouge a pâli
La Varsovienne (Święcicki), l’Appel du Komintern (Eisler / Jahnke) ou le Front des travailleurs (Eisler / Brecht) sont très applaudis, mais ne déclenchent nul mouvement dans la salle. Décidément, le rouge a bien pâli. Alors, quoi ? Trouve-t-on ces textes excessifs, grandiloquents ? Certains le sont, évidemment. Mais ils portent aussi toute une histoire, celle qu’a vécue une bonne partie des spectateurs, que d’autres auraient pu vivre !
Serait-ce que les temps ont changé ? Ils ne sont plus à la révolution avec ses grands idéaux. On sait désormais où peut conduire un certain idéalisme, et l’époque est dorénavant aux réformes, libérales s’entend, c’est-à-dire aux reculs. Une chanson échappe à cela et fait bouger le public, c’est la Prière punk des Pussy Riot, et ce n’est pas un hasard. La chanson n’a pas de contenu social, si elle est politique.
David Lescot, Éric Lacascade (qui chante en rappel, mezzo voce, les Anarchistes de Ferré) et Norah Krief n’ont pas démérité. Le choix des chansons est judicieux. Les artistes les interprètent avec une certaine force. Que manque-t-il pour que ça flambe ? Pour qu’on ressente le grand frisson qui parcourait le public de Pia Colombo ou de Francesca Solleville avec des programmes similaires ? Que le même souffle anime la salle et la scène ! Que ce ne soit pas du « théâtre » ! ¶
Jean-François Picaut
Revue rouge, de Norah Krief et David Lescot
Mise en scène : Éric Lacascade
Conception et direction musicale : David Lescot
Avec : Norah Krief (chant), David Lescot (guitare, trompette, voix), Fred Fresson (piano, chœur), Philippe Thibault (basse, chœur), Flavien Gaudon (batterie, chœur)
Son : Olivier Gascoin
Lumières : Jean‑Jacques Beaudouin
Vidéo : Stéphane Pougnand
Costumes : Augustin Rolland
Photo : © Brigitte Enguérand
Production Théâtre national de Bretagne-Rennes ; C.N.C.D.C. à Châteauvallon
Coproduction : Cie Lacascade
L’Aire libre • 2, place Jules-Vallès • 35136 Saint-Jacques-de-la-Lande
Le 13 novembre 2015
Durée : 1 heure
Réservations : 02 99 30 70 70
20 € | 13 € | 10 €