Un « Richard III » couleur sang
Par Amandine Pilaudeau
Les Trois Coups
Venez plonger en enfer : là où le sang coule à flots, là où la manipulation et la corruption du langage engloutissent les derniers restes de pureté et d’innocence. Le plateau du Théâtre 13/Seine accueille un grand Jérémie Le Louët !
Richard III ou la quintessence du Mal. Cette pièce est l’ascension et la chute d’un frère de roi, Richard de Gloucester. « Difforme, inachevé » tant sur le plan physique que moral, Richard va laisser libre cours à son sadisme pour voler le pouvoir à ses deux frères, Édouard et Clarence. Véritable tragédie sanguinaire, nul membre de la famille ne survivra à la folie meurtrière de Richard. Plus qu’un massacre, Jérémie Le Louët a réussi à représenter l’insidieux pouvoir des mots.
La scénographie participe largement au charme de la représentation. Grâce à la proposition très épurée de Blandine Vieillot, l’action est resserrée sur les corps et la parole. À la faveur d’un carré brechtien, dont les côtés sont des lignes de fuite vers l’arrière-scène, les coulisses deviennent un terrain de jeu, où les rôles des personnages ne quittent jamais les comédiens. Assis sur des bancs en fond de scène, mains posées sur leurs cuisses, les personnages attendent leur entrée dans l’arène de Richard III, tels un empereur romain appréciant le spectacle offert par la mise à mort de ses gladiateurs.
Dans cette pénombre étouffante qu’est le plateau se dégage une unique lumière au centre de la scène : une ampoule sans abat-jour. Lumière d’espoir bien vite retirée du champ de bataille pour faire place à des jeux de néon, dont l’orchestration se fait de plus en plus rapide à mesure que Richard prend le pouvoir. Le plateau est ordonné par des changements à vue, mais comme sortis du néant. L’intrigue semble échapper à tous, personnages et spectateurs, pantins de la mégalomanie de Richard.
Richard, ce lion sans cœur
En véritable chef d’orchestre, le duc de Gloucester nous précise, avec un micro, ses intentions entre chaque scène. Par une modification de la voix, le narrateur immoral apparaît comme une incarnation d’outre-tombe. Les enfers ont trouvé leur porte-parole. Jérémie Le Louët a essentiellement travaillé sur cette dynamique du verbe : corruption du langage, séduction, manipulation ; la rhétorique est pervertie. Laissant de côté toute la partie historique et retraduisant lui-même l’œuvre, Jérémie Le Louët renouvelle l’imprécation du langage.
Metteur en scène créatif, mais aussi comédien talentueux, c’est Jérémie Le Louët lui-même qui incarne Richard de Gloucester. Malgré, il faut le reconnaître, une certaine appréhension – un despotisme zélé était à craindre –, le rôle de Richard lui sied à merveille. Teint blafard, coupe au bol, yeux cernés, démarche boiteuse : un Richard III plus vrai que nature qui cloue le spectateur à son siège. Ni bosse ni artifice, et pourtant un charisme qui envahit la scène. Les mots de Jérémie Le Louët mordent, ourlés d’une ironie incisive. Le spectateur rit des plus grands malheurs de l’homme : là est la force de ce spectacle.
Paroxysme de la violence : entre jouissance et haine
Les autres comédiens ne sont pas en reste dans cette adaptation. Le jeu admet ici la stabilité des corps, bien ancrés sur le proscenium, laissant ainsi place aux voix qui emplissent toute la vacuité de l’espace. La violence du phrasé n’est pas l’apanage du personnage éponyme, les personnages féminins, en particulier Marguerite, l’exhibent eux aussi. L’interprétation de celle-ci par un homme (Stéphane Mercoyrol) fait certes écho à la tradition élisabéthaine, mais virilise surtout la violence des propos. La barbarie humaine est d’autant plus perceptible qu’elle est jouée par un mâle.
De même, le fait que les deux frères assassinés soient interprétés par le même acteur (Julien Buchy) renforce l’image d’une fatalité morbide. Enfin, les deux seules actrices (Noémie Guedj et Dominique Massat) de cette pièce ne déméritent pas, interprétant avec brio les personnages de Lady Anne et d’Élisabeth. À cet égard, on distingue dans le travail de l’acteur deux directions selon les sexes des personnages : une violence qui apporte la jouissance pour Richard, en particulier la scène du meurtre de son cousin Buckingham, et une violence gorgée de haine pour les quatre femmes accablées par la fureur du tyran (Lady Anne, Élisabeth, Marguerite et la Duchesse, mère de Richard). En tout cas, un Richard III qui scrute avec acuité les abîmes de l’homme. ¶
Amandine Pilaudeau
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Richard III, de William Shakespeare
Cie des Dramaticules
Mise en scène et adaptation : Jérémie Le Louët
Avec : Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Noémie Guedj, Jérémie Le Louët, David Maison, Dominique Massat et Stéphane Mercoyrol
Scénographie : Blandine Vieillot
Costumes : Mina Ly
Lumière : Thomas Chrétien
Son : Simon Denis
Photo : © Jean-Louis Fernandez
Production : Cie des Dramaticules
Coréalisation : Théâtre 13
Coproduction : Théâtre de Rungis, Théâtre André-Malraux de Chevilly-Larue, Théâtre de Corbeil-Essonnes, Scène Watteau à Nogent-sur-Marne
Résidence de création au Théâtre à Châtillon
Avec l’aide à la création du conseil régional d’Île-de-France, du conseil général du Val-de-Marne, de la communauté d’agglomération Seine-Essonne et de la mairie de Paris
Théâtre 13/Seine • 30, rue du Chevaleret • 75013 Paris
http://www.theatre13.com/saison/spectacle/richard-iii
Réservation en ligne : rendez-vous sur la page du spectacle pour lequel vous souhaitez réserver, cliquez sur le bouton « Réserver » et laissez-vous guider. Les places seront à régler le soir même sur place au moment de votre arrivée au théâtre
Réservation par téléphone : 01 45 88 62 22 (du lundi au vendredi de 13 h 30 à 18 h 30 et en période de représentation le samedi de 14 heures à 18 h 30 et le dimanche de 13 h 30 à 14 h 30)
Métro : Bibliothèque-François-Mitterrand
Du 13 novembre au 23 décembre 2012, mardi, jeudi et samedi à 19 h 30, mercredi et vendredi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30
Durée : 2 heures
Tarif : 24 €, tarif réduit 16 €, (le 13 de chaque mois : tarif unique à 13 €), 11 € (scolaires) et 6 € (allocataires du R.S.A.)