« Romancero Queer », Virginie Despentes, critique, La Colline Théâtre national, Paris

Romancero-queer-despentes-colline © teresa-suarez

Réinventer la révolution ?

Marie Constant et Antonis Lagarias
Les Trois Coups

À l’heure où la portée politique du mot « révolution » semble épuisée, mettre en scène la révolte queer est un geste risqué. C’est pourtant le pari que fait Virginie Despentes avec Romancero Queer au Théâtre de La Colline, deuxième pièce dont elle signe le texte et la mise en scène après Woke (2024). Le défi est plutôt bien relevé.

Comment faire œuvre de résistance ? Romancero Queer se déroule dans les coulisses d’un théâtre. Huit comédien·nes queer et / ou minorisé·es y répètent la Maison de Bernarda Alba de Lorca sous la direction de Michel, metteur en scène sexagénaire, blanc et cishet. Ce dernier les appelle les un·es après les autres sur la scène fictive, située hors-champ pour nous, derrière le rideau de fond. Entretemps se déploie dans les coulisses (la scène que nous voyons) une série de révélations, de conflits et de réconciliations entre les huit personnages, qui finissent par s’unir collectivement face à l’autorité du metteur en scène. 

À part véhiculer la pensée révoltée et révoltante de Virginie Despentes par une mobilisation efficace du dispositif théâtral, la pièce donne toute leur place aux personnages queer ou minorisés et à leurs histoires. Avec son intrigue ancrée dans une actualité sombre qui évoque aussi la question palestinienne, la pièce relève clairement du théâtre engagé.

Plus que du théâtre dans le théâtre

Le dispositif repose largement sur un effet de mise en abyme. En effet, la pièce met en scène la création d’une autre pièce, dont le choix n’est pas anodin : la Maison de Bernarda Alba, œuvre phare de l’Espagnol Frederico Garcia Lorca qui a raconté l’oppression familiale et domestique de sept femmes cloîtrées, pour qui « naître femme est la pire des punitions ».

Or, Despentes dépasse le simple emboîtement des deux pièces anti-patriarcales. À l’instar de Pépé le Romano, le beau jeune homme qui cause le désastre final des personnages féminins chez Lorca sans jamais apparaître sur scène, le personnage de Michel reste lui aussi hors champ jusqu’à la fin de Romancero Queer. On n’entend que sa voix dicter chaque mouvement et les acteur·ices s’exécutent bon gré mal gré. Ce personnage sans visage qui hante la scène rappelle d’autres forces invisibles et destructrices qui hantent notre société.

Révoltes et divertissement

Dommage ! On n’évite pas un certain didactisme et certaines prises de parole sur des enjeux brûlants peuvent paraître simplistes, même si l’on salue le geste courageux et puissant de Virginie de Despentes, qui demande à ses comédien·nes de répéter à plusieurs reprises le mot « génocide ». À en juger par la réaction positive du public, ce choix résonne comme une position pleinement assumée, dans un contexte où la simple évocation de ce mot peut suffire à entraîner des poursuites.

Qui arrive à La Colline en s’attendant à une simple énonciation scénique de la pensée de l’autrice sera déçu·e. Peu avant le dénouement, le décor et la lumière changent pour créer une atmosphère irréelle, mystérieuse, mais chaleureuse. L’intelligence mathématique de la mise en abyme cède alors sa place à la magie d’une scène touchante par sa simplicité d’où émerge clairement l’idée de révolution : les huit personnages arrêtent les négociations avec Michel. Ça suffit de faire rentrer leurs identités jugées déviantes dans un cadre prédéfini, imposé par autrui ! Ils décident de refuser dans sa totalité le spectacle (ou le système) existant, pour le réinventer. 

Dépassant l’intellectualisme qu’on aurait pu lui prêter, le spectacle revendique et assume sa fonction divertissante, elle aussi profondément politique. Despentes souligne que le rire y a toute sa place, nécessaire et salvatrice : « J’ai envie de parler de choses sérieuses. L’époque ne s’y prête pas, elle l’impose. (…) Mais j’ai aussi envie de faire rire les gens. (…) J’aimerais que Romancero Queer soit une occasion d’énoncer deux ou trois choses sur ce qui nous arrive, collectivement – mais aussi qu’on en sorte un peu consolé, rafistolé, soutenu. Avec de la force pour rester debout et de la joie d’être qui on est. »

Marie Constant et Antonis Lagarias


Texte et mise en scène : Virginie Despentes
Avec : Sasha Andres, Amir Baylly, Casey en alternance avec Naelle Dariya (à partir du 10 juin), Mata Gabin, Soraya Garlenq, Mascare, Soa de Muse, Clara Ponsot
Durée : 1 h 40

Théâtre de La Colline 15, rue Malte-Brun 75020 Paris
Du 20 mai au 29 juin 2025 (relâche le 25 mai), du mercredi au samedi à 20 heures, mardi à 19 heures et dimanche à 16 heures
De 8 € à 33 €
Réservations en ligne ou 01 44 62 52 52

Tournée :
Du 17 au 21 mars 2026 au Théâtre de la Croix-Rousse, à Lyon (69)

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Vernon Subutex 1 », Virginie Despentes, par Romain Labrousse
« King Kong Théorie », d’après Virginie Despentes, par Marion Le Nevet

Photos : © Teresa Suarez   

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories