La transmission à l’œuvre
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
À l’occasion de la présentation du « Roméo et Juliette » de William Shakespeare mis en scène par Paul Desveaux au Studio d’Asnières, nous avons pu assister à un des derniers filages de l’équipe. Les élèves de l’ESCA, anciens ou actuels, forment l’essentiel de cette généreuse distribution. Les 14 comédiens au plateau mettent toute leur jeune énergie au service d’une lecture modernisée de la tragédie qui fait la part belle à la question de la transmission.
ESCA… quèsaco ?
Avant toute chose, un point lexique s’impose. ESCA est l’acronyme d’École Supérieure de Comédien.nes par l’Alternance. Chaque année, près de 1 000 aspirants comédiens passent le concours d’entrée de cette école nationale de théâtre située à Asnières-sur-Seine. Seule une quinzaine d’élus pourront finalement intégrer la formation et prétendre au Diplôme national supérieur professionnel de comédien (DNSPC). L’ESCA se distingue toutefois des 13 autres écoles nationales en proposant une alternance entre cours et contrats d’apprentissage. D’ailleurs, il s’agit, à ce jour, du seul CFA de comédien.ne.s en France.
Cette spécificité reflète la ligne pédagogique de l’école. L’apprentissage sur le terrain et la constitution d’un réseau professionnel sont mis à l’honneur afin de permettre aux jeunes comédiens de trouver leur place sur ce marché ultra concurrentiel. Cette vision pragmatique est portée par l’expérience de la scène de Paul Desveaux et Tatiana Breidi, codirecteurs de l’ESCA. Grâce au système de l’alternance, les apprentis connaissent entre 7 et 8 employeurs au cours de leur formation. Du théâtre de rue au théâtre en entreprise, toutes les expériences permettent aux apprentis d’enrichir leur vision du secteur. L’idée est également d’encourager la polyvalence, une qualité essentielle notamment lorsqu’il s’agit de travailler en troupe.
Car ici, l’enjeu est avant tout de former des personnes capables de travailler ensemble et pas des « comédiens mercenaires » selon les mots de Paul Desveaux. On reconnaît cet attachement à la troupe dans le travail reconnu des anciens de l’ESCA, en l’occurrence des anciennes : Maïa Sandoz avec le Théâtre de l’Argument, Julie Deliquet avec le Collectif In Vitro et aujourd’hui à la tête du TGP, centre dramatique national de Saint-Denis, sans parler de Pauline Clément qui a rejoint LA troupe par excellence ! Toutes mettent le collectif au centre de leur travail.
Parole à la jeunesse
C’est ce même goût du travail en chœur qui anime les 13 apprentis en plein filage, avant la première de Roméo et Juliette. La répétition technique de la scène du bal, tout en masques et sequins, offre un beau tableau du vivier de talents qu’est l’ESCA. Les apprentis ont été choisis toutes promotions confondues et jouent aux côtés de comédiens plus expérimentés. Dans cette mise en scène axée sur le conflit générationnel, Fabrice Pierre, Malo Vigier et, le fondateur de l’ESCA, Hervé Van der Meulen, endossent les rôles des figures d’autorité. L’occasion d’un compagnonnage enrichissant pour les apprentis comédiens tout en servant le parti pris de mise en scène.
Que lègue-t-on aux générations futures ? Paul Desveaux a choisi d’aborder la tragédie de Shakespeare sous cet angle. Selon le metteur en scène, l’amour impossible de Roméo et Juliette n’est que la conséquence néfaste d’une guerre atavique entre deux familles, dont on ne connaît même plus les raisons. Le texte est joué quasi intégralement et entrecoupé de projections d’entretiens avec les comédiens de la distribution qui tombent le masque pour répondre à la question « Qu’est-ce que l’avenir pour vous ? ».
Une note d’intention comme un écho à la nouvelle casquette du metteur en scène Paul Desveaux, devenu codirecteur de l’ESCA en début d’année. Dans la jungle des formations pour comédiens souvent déconnectées des réalités du métier, il est touchant de rencontrer des artistes et pédagogues qui s’interrogent véritablement sur leur responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations. ¶
Bénédicte Fantin
Roméo et Juliette, de William Shakespeare
Traduction : Jean-Michel Déprats
Mise en scène et scénographie : Paul Desveaux
Assistante à la mise en scène : Léa Delmart
Avec : Céline Bodis, Léna Bokobza-Brunet, Luca Bondioli, Mathilde Cessinas, Léa Delmart, Pierre-Antoine Lenfant, Anthony Martine, Pierre-Loup Mériaux, Fabrice Pierre, Thomas Rio, Ulysse Robin, Hervé Van der Meulen, Kim Verschueren et Malou Vigier
Chorégraphie : Jean-Marc Hoolbecq
Costumes : Irène Bernaud et Bruno Marchini
Lumières : Laurent Schneegans
Coproduction Le Studio l ESCA d’Asnières et le Théâtre Montansier de Versailles (78)
Durée : 2 h 30
À partir de 14 ans
Studio d’Asnières • 3, rue Edmond Fantin • 92600 Asnières-sur-Seine
Du 1er au 18 décembre 2021, mardi, mercredi et vendredi à 20 heures, jeudi et samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Mélancolie(s), de Julie Deliquet avec le Collectif In Vitro, par Bénédicte Fantin
☛ Déjeuner chez Wittgenstein, de Thomas Bernhard, avec Hervé Van der Meulen, par Léna Martinelli
Une réponse
C’est vraiment déroutant comme mise en scène. Moderne, peut-être trop ?
J’ai eu un petit souci avec l’interprète de Juliette, et son jeu un brin vulgaire. Elle surjoue vraiment. À moins que ce ne soit l’adaptation qui me pose problème ?