Romy Schneider : « J’aime mille fois mieux le théâtre »
Bulletin n°19 : en librairie…
Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups
Isabelle Giordano, ex « Madame Cinéma » de Canal +, livre une biographie « film par film » de Romy Schneider.
Star de cinéma, Romy Schneider, née à Vienne en 1938, incarne une icône de la femme moderne, amante et mère tout à la fois, assumant sa liberté en prenant la vie à bras-le-corps. Ne confiait-elle pas : « Dans la vie, comme au cinéma, j’applique la devise « Tout ou rien » » ? Isabelle Giordano retrace ici l’itinéraire de cette femme téméraire, d’une troublante beauté, film par film, conformément au sous-titre de ce bel album de grand format, parfaitement illustré. La journaliste spécialiste du Septième art (véritable « Madame Cinéma » sur Canal + pendant plus de dix ans, aujourd’hui directrice générale d’UniFrance Films) compose un récit chronologique, qui explique la construction de cette figure mythique tellement attachante, peu épargnée par la vie, et retrouvée morte dans son appartement parisien le 29 mai 1982.
Rosemarie Magdalena Albach fut surnommée « Romy » dès sa plus tendre enfance. Fille de deux acteurs célèbres, Magda Schneider et Wolf Albach Retty, elle fut d’abord élevée par sa grand-mère en Bavière, avant d’être placée, à l’âge de onze ans, dans un strict pensionnat catholique près de Salzbourg où, comme le rappelle Isabelle Giordano, « elle rêve d’un monde de plateaux de tournages et de paillettes, va en cachette au cinéma et lit les gazettes mondaines qui circulent sous le manteau. » Elle en sortira en 1953 pour tourner son premier film, Lilas blancs de Hans Deppe, dans lequel elle joue la fille de sa propre mère. Le pli est pris : Romy tournera dix-neuf films au cours des dix premières années de sa carrière.
Visconti, un mentor
C’est en 1955, à 17 ans, qu’elle devient une star, avec Sissi, un film culte d’Ernst Marischka qui connaît un immense succès mondial, en permettant à l’Autriche, dix ans après la Seconde Guerre mondiale, de redorer son blason et de gommer, sous des images de pacotilles et de somptueux costumes d’époque, les errements que l’on sait. Romy retrouvera son personnage dans Sissi impératrice (1956) et Sissi face à son destin (1957). Même si aucun de ses autres films n’a connu un succès comparable à la saga patriotique des Sissi, on peut légitimement considérer pourtant que ses rôles majeurs sont ailleurs, sous la direction de Luchino Visconti, Orson Welles, Otto Preminger, Henri-Georges Clouzot, René Clément, Jacques Deray, Claude Sautet, Joseph Losey, Pierre Granier-Deferre, Michel Deville, Francis Girod, Andrzej Żuławski, Claude Chabrol, Robert Enrico…
Romy a tourné dans 63 films, le dernier étant La Passante du Sans-Souci de Jacques Rouffio (1981). Isabelle Giordano explique fort bien comment Fellini, en 1961, après avoir été le Pygmalion d’Alain Delon dans Rocco et ses frères l’année précédente, a façonné la nouvelle Romy Schneider dans Boccace 70 : « Visconti sera comme un mentor et comme un père pour Romy », écrit la journaliste.
Le théâtre, mille fois plus difficile
À cet égard, la présentation de ce bel album nous donne l’occasion d’insister, plus que ne le fait l’auteur qui l’évoque trop brièvement, sur l’importance du théâtre dans l’esprit de Romy Schneider. Issue d’une famille de trois générations d’acteurs, elle n’a jamais suivi un cours d’art dramatique. Elle a fait ses débuts sur les planches, encouragée par Visconti pour jouer, aux côtés d’Alain Delon, Dommage qu’elle soit une putain de John Ford. La première a lieu le 28 janvier 1961, au Théâtre de Paris. Il y aura 120 représentations ! Romy a raconté les répétitions avec Visconti, notamment les difficultés pour elle de jouer en français et de corriger son accent.
Dans des entretiens accordés à l’époque à la télévision par les deux jeunes acteurs, Romy déclare notamment : « J’ai très peur. Sans M. Visconti, je n’oserais pas. Mais j’ai très envie. » Delon reconnaît lui aussi son appréhension, assurant qu’il attendait depuis bientôt cinq ans l’occasion de monter sur les planches. Avec humilité, il assure qu’il « manque de métier », impressionné par le jeu de ses camarades (dont Daniel Sorano et Silvia Monfort).
Dans les mois qui suivent, Sacha Pitoëff propose à Romy de récidiver avec La Mouette de Tchekhov, et de participer à une longue tournée. Elle accepte la proposition du metteur en scène qui jouera lui-même Trigorine. Une interview filmée du 31 décembre 1961 est sans ambiguïté : Romy assure qu’elle entend désormais accorder une place importante au théâtre dans sa carrière. Comme Nina, à qui elle s’identifie volontiers, elle déclare avoir toujours voulu faire du théâtre.
Et pour nourrir l’éternel débat sur la différence qu’il y a entre le jeu d’acteur au théâtre et au cinéma, laissons le mot de la fin à Romy : « Au cinéma, on peut tromper. Pas au théâtre. Au théâtre, le public et les partenaires ne sont jamais les mêmes. Il faut tous les soirs être aux aguets, sentir la salle, réagir, jouer autrement… Et pas de metteur en scène pour souffler les intonations, faire recommencer une entrée. Le théâtre, c’est mille fois plus difficile. J’aime mille fois mieux le théâtre. »
Rodolphe Fouano
Romy Schneider, film par film / Isabelle Giordano avec la participation de Mathieu Guetta / Gallimard Loisirs, 2017 / 256 p. / 39,90 €
Présentation de l’ouvrage par l’éditeur ☛