« Saint-Félix » d’Élise Chatauret, Les Célestins à Lyon

« Saint-Félix » © Hélène Harder

Sociologie en campagne

Par Michel Dieuaide

Les Trois Coups

Élise Chatauret et sa compagnie Babel s’essaient au difficile mariage entre théâtre documenté et poésie surnaturelle.

Une enquête de six mois, menée par la metteuse en scène et son équipe artistique et technique, est à la source du spectacle. Sa cible : un hameau d’une vingtaine d’habitants avec lesquels se sont créés des liens, partagés des moments de vie et ont été rassemblés des enregistrements de longues conversations. Son projet : témoigner sans filtre de la vie rurale aujourd’hui dans un microcosme où le rapport à la modernité et au temps qui passe est à la fois semblable et décalé, comparé à celui des urbains.

Concrètement, c’est sur un plateau revêtu d’un tapis vert que s’installe l’espace du hameau de Saint-Félix avec la mise en place progressive par les comédiens de petites maquettes figurant maisons, granges, église et mairie. D’emblée se crée une relation de dominé à dominant, entre ceux qui conduisent les interviews et les autochtones. On échappe toutefois à la condescendance grâce aux réponses qui précèdent parfois les questions et au fait que les quatre acteurs jouent simultanément les rôles des enquêteurs et des interviewés.

Ainsi, pendant les deux-tiers de la représentation, se succèdent paroles intimes, clichés et préjugés sur le monde rural construisant une sorte de carte postale, tantôt jaunie par les années, tantôt surexposée par l’actualité. À écouter ce long compte rendu, on s’impatiente quelque peu, faute de vivre de véritables situations théâtrales. Beaucoup de moments flirtent avec le seul ou la seule en scène sans en éviter les facilités, la gestuelle appuyée, les grimaces et le jeu constamment en adresse.

« Saint-Félix » © Hélène Harder
« Saint-Félix » © Hélène Harder

Discutables irruptions

Dans le dernier tiers du spectacle, consciente sans doute du peu de théâtralité de ce qui a précédé, la metteuse en scène s’empare des arts de la marionnette à gaine, puis de type bunraku, pour dépasser la relative sécheresse de l’énoncé de l’enquête sociologique qui a précédé. Avec le concours, il faut le souligner, de subtils éclairages et d’une bande son étonnante, elle introduit un castelet de marionnettes minables pour se moquer de son travail de sociologue amateur, ce qui redonde avec le traitement déjà distancé des interviews des séquences précédentes. Puis, dans une ultime scène, il est vrai esthétiquement magnifique, un grand pantin, manipulé à vue par les quatre comédiens, fait apparaître Mathieu, le compagnon de Lucie, l’écologiste radicale dont la mort inexpliquée hante la mémoire des villageois. On assiste éberlués à une cérémonie funèbre au culte étrange, oscillant entre le grotesque et le caricatural.

Déçus par ce portrait bancal de la ruralité contemporaine, on se rassure en se souvenant de la Remise (1962), texte et réalisation de Roger Planchon, œuvre dure, cruelle et authentique sur son Ardèche d’enfance, pays où se disait des hommes que, comme les bêtes, ils crevaient. On pense, plus près de nous, aux récits à vif de Pierre Jourde, Pays perdu (2003) et laPremièrePierre (2013), dans lesquels il raconte la violence de ses expériences de citadin confronté à un monde paysan qui le rejette pour son amour de la vérité… et le souvenir obsédant d’une enfant disparue nommée Lucie. Plus près encore, on se console de Saint-Félix en se remémorant quelques-unes des chroniques de François Morel où prennent vie des ruraux rusés, tendres et curieux de ceux qui vivent à la ville. 

Michel Dieuaide


Saint-Félix, d’ÉliseChatauret

Écriture et mise en scène : Élise Chatauret

Avec : Justine Bachelet, Solenn Keravis, Emmanuel Matte, Charles Zévaco

Célestins Théâtre de Lyon4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon

Billetterie : 04 72 77 40 00

Du 22 septembre au 03 octobre 2020, à 20 h 30

Durée : 1 h 15

De 24 € à 10€

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