« Sentinelles », de Jean-François Sivadier, Théâtre National Populaire à Villeurbanne

Sentinelles-Jean-François-Sivadier © Jean-Louis Fernandez

Les amis irréconciliables

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Avec « Sentinelles », Jean-François Sivadier s’attache à l’amitié de trois jeunes pianistes virtuoses réunis par une passion commune et exclusive qui finira par les séparer. Un spectacle brillant et incandescent, passionnant de bout en bout.

Jean-François Sivadier s’intéresse autant à la musique qu’au théâtre, aux acteurs qu’aux interprètes, comme le prouvent ses mises en scène. En nous faisant pénétrer dans les coulisses, les salles de répétition, l’histoire intime des artistes, il sonde les arcanes de la création. Un mystère inépuisable. S’il s’est inspiré pour ces Sentinelles du Naufragé de Thomas Bernhard, roman qui l’a longtemps hanté, ce spectacle n’en reste pas moins une création originale et très personnelle.

Il va donc suivre Swan, Raphaël et Mathis (et non Glenn Gould comme chez l’écrivain autrichien), tous trois pianistes de haute volée promis aux carrières les plus brillantes, de la fin de l’adolescence à la consécration qui sera celle d’un seul. Entre ces deux termes, trois ans de travail acharné dans une prestigieuse école de musique auront façonné leur art, leurs convictions et aussi leur amitié.

Sentinelles-Jean-François-Sivadier © Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Cette traversée initiatique est l’objet des Sentinelles. Ces trois jeunes gens qui placent l’art au rang des valeurs les plus hautes passent des heures à croiser le fer sur des questions essentielles pour eux telles que : à quoi sert l’art ? Et d’ailleurs doit-il « servir » ? La Musique peut-elle devenir instrument politique ? Ou seulement révéler la beauté du monde ? Ou encore n’a-t-elle de sens qu’en elle-même ? Qui est le plus grand compositeur, de Mozart et Chostakovitch ?

Ces joutes verbales qui témoignent du caractère de chacun, de ses convictions les plus intimes et les plus fortes fondent leur amitié, en même temps qu’elles expliquent une question qui les taraudait au début de la pièce : Peut-on admirer un ami ? Derrière cette interrogation en effet, se profilent quelques certitudes inconciliables : la reconnaissance de l’autre comme un alter ego est le ciment de l’amitié.

Pianistes sans piano

On pourrait craindre le côté très intellectuel et formel de ces discussions enflammées, d’autant que la scénographie est dépouillée à l’extrême, au point même de supprimer les pianos du plateau. Mais le jeu des acteurs, Vincent Guédon, Julien Romelard, Samy Zerrouki, leur engagement, leur enthousiasme nous entraînent avec eux : nous savons bien qu’il ne s’agit pas seulement de la lettre des interrogations, mais aussi et surtout de l’esprit qui est autrement dramatique. Ces jeunes gens ne sont pas d’une caste surdouée si lointaine. Ils vibrent comme tous les jeunes au début de leur vie qui prennent feu pour des idées.

Bien sûr cette jeunesse et cet enthousiasme sont servis par une mise en scène au cordeau, aussi exigeante que les débats qu’elle orchestre. L’idée de chorégraphier leurs déplacements, leurs échanges fiévreux comme autant de mouvements rythmés, rapides, impeccables, rendant parfaitement ce qui unit les jeunes pianistes. Enfin, l’écriture de Sivadier est formidablement intelligente, et cela est déjà un plaisir de théâtre.

Au bout de la pièce, une fois l’élu reconnu par le jury du concours Tchaïkovsky de Moscou, ils se sépareront pour toujours. Tandis que Mathis démontrera au monde entier l’originalité de son génie, Swan et Raphaël abandonneront toute ambition artistique : en art, il faut être le premier ou personne, amère leçon de cette histoire. 

Trina Mounier


Sentinelles, de Jean-François Sivadier

Mise en scène : Jean-François Sivadier

Avec : Vincent Guédon, Julien Romelard, Samy Zerrouki

Assistanat à la mise en scène : Rachid Zanouda

Lumière : Jean-Jacques Beaudouin

Son : Jean-Louis Imbert

Costumes : Virginie Gervaise

Regard chorégraphique : Johanne Saunier

Durée : 2 h 25

TNP de Villeurbanne • Petit théâtre Salle Jean-Bouise • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne

Du 3 au 19 décembre 2021, du mardi au samedi à 20 h 30 sauf jeudi à 20 heures, dimanche à 16 heures, relâche le lundi, relâche exceptionnelle le mercredi 8 décembre

De 7 € à 25 € • Billetterie en ligne

Tournée 2022 :

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☛ Un ennemi du peuple, d’Henrik Ibsen, par Lorraine de Bonnay

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