« Shahara », Caroline Stella, Sarah Tick, Plateaux Sauvages, Paris

1-Wes-Peden-Rollercoaster © Eva Lindblad

Décrocher la lune

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

À travers une vibrante odyssée amicale qui scelle à jamais l’existence de deux jeunes filles malades « Shahara » nous propulse dans les étoiles. En célébrant les pouvoirs du jeu, de l’imagination et de la solidarité, l’écriture interstellaire de Caroline Stella et la mise en scène lumineuse de Sarah Tick soignent autant les petits que les grands. Un merveilleux spectacle à voir en famille.

Dans un hôpital pour enfants, Mélie, venue pour « un grain de beauté qui fait le malin », rencontre Shahara, affublée d’une étrange tenue de cosmonaute car, atteinte de la maladie des enfants de la lune, elle doit se protéger des ultra-violets. « C’est quoi ce bail ? ». Cette appellation poétique cache une tragique réalité, celle d’une maladie génétique rare et incurable aux traitements lourds. Le quotidien est long et pesant. Pour conjurer le sort, les deux filles tissent une amitié et s’évadent ensemble, en s’inventant des histoires astronomiques.

Ce sujet fait écho à la double, voire triple vie de Sarah Tick. Metteuse en scène, artiste associée à L’Étoile du Nord, co-fondatrice du FAAR (Fonds d’aide pour des arts vivants responsables), elle est aussi ophtalmologiste. Après avoir été en oncologie pédiatrique en tant qu’interne, elle a souhaité témoigner des combats et du courage d’enfants condamnés, de leur extraordinaire sagesse. Bravo de traiter d’un sujet si difficile, pour le jeune public en plus !

L’autrice Caroline Stella raconte que tout est parti d’un documentaire sur la Xeroderma Pigmentosum. La combinaison étanche imposée aux patients a été « une brèche dans l’imaginaire ». Un autre documentaire sur les cinquante ans des premiers pas de l’homme sur la lune a grandement alimenté la dramaturgie, axée sur la soif d’espoirs et d’aventures.

Odyssée amicale

Quoi de plus excitant que la conquête de l’espace ? L’humain, bien sûr, avec l’exploration de l’autre et de soi, les progrès dans la médecine. Empêchés à la joie, au jeu et à la vie, les personnages parviennent à survivre grâce aux pouvoirs incommensurables du rêve, qui leur permet d’accomplir l’impossible, et de leurs ressources infinies. Entre le compte à rebours de la navette spatiale et celui de l’anesthésie d’une opération délicate, décollage immédiat !

© Pauline Le Goff

Et alunissage réussi ! Les dialogues fusent : « Plein de petits points comme autant de cancers » ; « Plein de petits points comme autant de galères. » Les pulsions de vie s’expriment avec force. D’ailleurs, la colère est prégnante, mais l’énergie créatrice prend vite le dessus. Le texte est imagé avec des familiarités qui parlent aux enfants. « Aller casser la gueule à la lune », responsable de son malheur, voilà l’objectif de Shahara, prénommée « Tâche ». « Appelons un cul un cul », réplique Mélie, alias « Mauviette ». Après tout : « On dit ce qu’on veut ! On est malade », renchérit cette dernière qui n’a pas sa langue dans sa poche.

Angoisses, souffrances, doutes… Ici, rien n’est édulcoré, ni caricaturé. Aucune infantilisation, non plus. C’est la maturité de ces enfants qui les aide à surmonter les épreuves. Comme la distance de l’humour et de la poésie, de précieux alliés. Caroline Stella, au nom programmatique (l’étoile) s’inscrit à la fois dans le fantastique, le merveilleux et une logique du réel.

Son écriture incisive est mise en lumière par la mise en scène inspirée de Sarah Tick, qui a aussi misé sur la légèreté. Avant de commencer les répétitions, elle a même emmené l’équipe faire du trampoline, histoire d’éprouver concrètement l’apesanteur. Cela n’empêche pas la profondeur. Avec sensibilité et finesse, elle démontre « comment une amitié féminine peut changer une vie, ouvrir des perspectives ». Ici, la quête existentielle passe effectivement par l’autre et la solidarité aide à prendre une revanche sur l’adversité.

Épopée technique

Sur le plan formel, comment donc ouvrir le champ des possibles ? Entre le blanc clinique ou lunaire et le noir profond de l’univers, les couleurs ont d’abord disparu. Dans cette esthétique très réussie, le lieu aseptisé devient écrin strié de fulgurances. L’utilisation de la vidéo n’est pas anecdotique. La projection nous transporte loin, mais nous montre aussi les tâches sur la peau de Shahara, une constellation de toute beauté, un « corps étoilé » ! Ce somptueux mapping délimite les espaces autant qu’il les éclate. Nous sommes en immersion. Le travail sonore contribue aussi grandement à voyager : bips et autres bruits de machines de l’hôpital évoquent ceux des appareils d’un vaisseau spatial.

© Pauline Le Goff

Remarquable, la scénographie fait coexister l’hôpital, le théâtre et la lune en travaillant sur de subtiles correspondances. On vogue du plus concret (tests médicaux) au plus vertigineux (le voyage cosmique), en passant par celui, ludique, des transformations. Pour déjouer les obstacles, les murs de l’hôpital sont figurés par des lais qui ne masquent qu’en partie les régies, lesquelles sont aussi centres d’examens ou de contrôle. Le placard à médicaments devient la base de lancement de la prochaine mission Apollo. Des modules représentent à la fois un Rubik’s Cube, un bloc opératoire, etc. À des échelles différentes, la lune est partout : dans une bassine ou un projecteur ; du sol au cintres.

Astronomique

Au cœur de cette machinerie, le régisseur lumière est à la fois astronaute et ingénieur à la NASA, avec pour fonction d’accompagner Sharara où qu’elle aille, aux côtés de Guillaume Mika, musicien pilote. La bondissante Nadia Roz et Barbara Bolotner, plus ancrée, terrienne en somme, relèvent le défi, toujours délicat, d’interpréter des enfants. Quelle énergie ! Et leur complicité est belle.

Au centre de la scène, il y a de quoi atterrir, en douceur. La gomme utilisée pour le revêtement des cours d’école évoque la poussière de lune. Mais de nombreuses images nous restent en tête, dont certaines propices à nous aider, pour garder le cap, malgré les accidents de parcours, les chemins pentus. Comme le dit Oscar Wilde : « Il faut toujours viser la lune car, même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles ». 🔴

Léna Martinelli


Shahara, de Caroline Stella 

Paru aux éd. Espaces 34
Site de la Cie JimOe
Mise en scène : Sarah Tick
Avec : Barbara Bolotner, Nadia Roz, Julien Crepin et Guillaume Mika
Dramaturgie : Morgane Lory
Scénographie : Anne Lezervant
Création vidéo : Renaud Rubiano, Pierric Sud
Création et régie lumière : Julien Crépin
Création et régie son : Pierre Tanguy
Costumes : Charlotte Coffinet
Création musicale : Guillaume Mika et Nicolas Cloche
Durée : 1 heure
Tout public dès 7 ans

Les Plateaux Sauvages • 5 Rue des Plâtrières • 75020 Paris
Du 20 au 25 mars 2023
Tarification responsable
Réservations : 01 83 75 55 77 ou en ligne

Tournée :
• Les 6 et 7 avril 2023 au Théâtre du Chevalet, à Noyon (60)
• Du 23 au 26 mai 2023, L’Étoile du Nord, à Paris

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories