Emanuel Gat au sommet !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Dans sa dernière création, Emanuel Gat célèbre les danseurs, la singularité et virtuosité, la responsabilité et l’humanité de vingt interprètes, dont la moitié de sa compagnie et l’autre moitié issue du Ballet de l’Opéra de Lyon. Un des temps forts de Montpellier Danse.
Tout d’abord, le titre du spectacle, sous forme de dédicace à Jean-Paul Montanari, est une forme d’hommage au directeur du festival, où cet Israélien (désormais installé en France) est programmé régulièrement. L’artiste est même invité en tant que chorégraphe associé depuis 2013. L’occasion d’exprimer toute sa créativité et de nouer une relation particulière avec les publics, au travers d’événements divers.
En neuf ans d’accompagnement, la Fondation BNP Paribas a pu voir le déploiement de ce chorégraphe atypique, qui sera aussi, à partir de la saison prochaine, artiste associé à Chaillot. Une bien belle complicité qui aboutit autant à une inscription territoriale qu’à une ouverture internationale. Et le mécène s’en félicite car cette compagnie a su imposer un processus de création singulier, en phase avec ses valeurs : dynamique horizontale fondée sur l’engagement, l’autonomie et la mise en responsabilité des danseurs, dialogue intime entre la danse et la musique dans des pièces souvent évolutives, en fonction des interprètes et des lieux.
Justement, pendant cinq jours, un duo a eu lieu dans différents espaces de Montpellier. Si chacun pouvait être vu de façon indépendante, c’est le tout qui forme la pièce Tenworks (for Jean-Paul), donnée le sixième jour. Ce programme s’est ainsi décliné en différentes constellations, formats, environnements sonores et directions chorégraphiques, puisque les duos étaient entrecoupés de cinq autres pièces de groupes. Il revenait aux interprètes d’intervenir sur les vitesses, voire l’ordre des séquences. Une seule règle commune : une durée de dix minutes et pas une de plus !
Une danse énergique et fluide
Ces changements d’échelle ont permis à Emanuel Gat d’étudier la logique interne et la mécanique des groupes humains. Intéressé par les processus de création, il a conçu l’une de ses pièces, Milena & Michael, par exemple, comme un zoom sur les vides qui s’érigent entre les mouvements. Ces fragments chorégraphiques ont abouti à une conversation méticuleuse entre deux corps, un dialogue précis et expressif. Dans Sextette, le matériel canonique du ballet classique passe par le filtre du regard contemporain. Passionnant ! Dans les autres pièces, les danseurs, libres et sereins, explorent la sinuosité du mouvement, gravitent et vibrent comme des astres qui s’attirent et se repoussent, dans un équilibre fragile. Ces minutieuses constructions hypnotisent. C’est inventif et éblouissant.
Dans cet ensemble, la danse est frémissante et les interprètes engagés jusqu’au bout des ongles. À l’unisson ou en miroir, mais souvent légèrement décalés, les danseurs, virtuoses, maîtrisent parfaitement la technique. De plus, parmi les œuvres musicales, celles composées par Emanuel Gat sont particulièrement réussies. Et parce que ses spectacles sont aussi des « affaires de famille », c’est l’une de ses filles, Nina, qui l’interprète sur scène.
Façons de se mouvoir, approches théâtrales et interprétations musicales, le chorégraphe a créé un ensemble d’outils et de procédures pour examiner le travail à l’œuvre, déconstruisant pour établir d’autres relations entre les danseurs. Ce spectacle amène ainsi à réfléchir sur les interactions humaines et plus précisément la prise de décision, les systèmes d’organisation, les stratégies collaboratives.
Enfin, le fait de faire appel au Ballet de l’Opéra de Lyon, une formation classique (même si elle est tournée vers la danse contemporaine), pour explorer ces nouveaux territoires, est aussi un excellent moyen de refléter la danse en mouvance dans le monde. D’ailleurs, le fait d’associer une compagnie indépendante à un ballet national pour produire et créer un programme en commun est aussi une manière de s’intéresser aux questions de mutualisation des ressources, tant sur le plan artistique qu’au nouveau de la production : « Finalement, ils possèdent des références communes et parlent le même langage », précise Emanuel Gat. Décidément, ce rapprochement inédit est prolifique. ¶
Léna Martinelli
TENWORKS (for Jean-Paul), d’Emanuel Gat
Ballet de l’Opéra de Lyon et Emanuel Gat Dance
Chorégraphie, lumière, costumes : Emanuel Gat
Avec : Jacqueline Bâby, Kristina Bentz, Edi Blloshmi, Thomas Bradley, Robert Bridger, Adrien Delépine, Tyler Galster, Péter Juhasz, Pansun Kim, Caelyn Knight, Michael Löhr, Graziella Lorriaux, Marco Merenda, Edward Oroyan, Genevieve Osborne, Leoannis Pupo-Guillen, Raul Serrano Nunez, Karolina Szymura, Milena Twiehaus, Sara Wilhelmsson (danseurs), Alain Billard, Nina Gat, Yves Lair, Joris Plantat, Nicolas Salmon, Sylvain Thillou (musiciens)
Musique originale : J.-S. Bach, Emanuel Gat, Awir Léon, Yann Robin, Joachim « JKid » Souhab
Photo : © Julia Gat
Théâtre de l’Agora • Bd Louis-Blanc • 34000 Montpellier
Dans le cadre de Montpellier Danse
Du 30 juin au 2 juillet 2017, à 22 heures
Réservations : 0 800 600 740
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