Humour et légèreté
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Le genre du ciné-concert, qui avait à peu près totalement disparu, connaît depuis quelques années un vrai regain de faveur. C’est souvent, comme ici, l’occasion de redécouvrir des œuvres injustement tombées dans l’oubli et de faire se rencontrer des créateurs.
The Oyster Princess (La Princesse aux huîtres ou, selon le titre original, Die Austernprinzessin, 1919) est loin d’être le film le plus connu de Lubitsch. Pourtant, c’est un petit chef-d’œuvre de légèreté, de vivacité et d’humour, au service d’une satire féroce de la bourgeoisie.
Mr Quaker, qui s’est enrichi dans le commerce de l’huître, est affligé d’une fille, Ossi, extravagante et un tantinet caractérielle. Quand elle apprend que la fille du « Roi de la chaussure » va épouser un prince, elle informe son père qu’il lui faut en épouser un aussi. Le milliardaire confie alors cette recherche à un entremetteur, lequel trouve un certain Nucki, prince allemand, désargenté et grand fêtard. Un rendez-vous est fixé, mais Nucki y envoie son valet. Pressée de s’établir, Ossi ne s’informe pas de l’identité du visiteur et l’épouse sur le champ. La suite n’est qu’un enchaînement de quiproquos.
Fantaisie débridée
Lubitsch conduit à un train d’enfer cette comédie, qu’on dirait parfois surréaliste, sans rien perdre de ses qualités habituelles : satire féroce mais qui reste élégante, parfaite maîtrise du rythme qui s’appuie un montage sophistiqué et une utilisation savante de l’ellipse. Cela confère fantaisie débridée et légèreté à The Oyster Princess. Des caractéristiques qui ont justement séduit Martin Matalon.
Sans doute impressionné par le foxtrot endiablé, un des moments forts du film, ce compositeur argentin a intitulé Foxtrot dDelirium la nouvelle bande-son concoctée pour le film. La danse vient d’ailleurs interrompre une sauterie bourgeoise bien empruntée. D’abord accueillie avec circonspection, elle finit par gagner tous les danseurs et se répandre dans la demeure « comme une épidémie », souligne Matalon. La scène des danseurs envahissant l’escalier monumental est un morceau d’anthologie.
Le compositeur a transposé l’originalité de Lubitsch dans son propre langage. Ainsi son instrumentarium est-il peu commun : flûte, clarinette, cor, trompette, trombone, deux percussionnistes, piano, harpe, violon, violoncelle, sont complétés par l’utilisation de l’électronique, chère à Matalon.
Son expérience acquise avec les films presque contemporains de Buñuel (Un Chien andalou, Terre sans pain et L’Âge d’or) et le Metropolis de Fritz Lang est ici pleinement utilisée et même dépassée par l’usage de l’humour et de la vivacité. La musique de Martin Matalon suit de près les images de Lubistch, soit dans une forme d’adhésion, soit dans le contraste, pour en renouveler, en renforcer, l’humour.
Le souhait du compositeur est ainsi réalisé : écrire une pièce originale, avec Foxtrot Delirium, et donner une nouvelle vie au film avec son interprétation en direct pendant la projection. Ravis, nous assistons donc à la naissance d’une troisième œuvre. ¶
Jean-François Picaut
The Oyster Princess, de Ernst Lubitsch et Foxtrot Delirium, de Martin Matalon
Orchestre symphonique de Bretagne
Direction : Pierre Roullier
Avec : Orchestre symphonique de Bretagne et la collaboration de l’Ensemble Ars Nova
Durée : 0 h 58
Photos : © Arthur Pequin © Didier Olivré
L’Opéra de Rennes • Place de l’Hôtel de Ville • 35000 Rennes
Les 15 et 16 février 2018, à 20 heures
De 35 € à 13 €
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ L’Ombre de Venceslao, d’après la pièce de Copi, par Jean-François Picaut