De la prison à la scène,
le récit d’un sauvetage
Par Aurore Krol
Les Trois Coups
S’agit-il d’une rédemption, d’une catharsis, ou d’une dénonciation ? Comédien par la force des choses, l’homme face à nous est là pour témoigner. C’est d’ailleurs ainsi que l’on présente cette œuvre : un récit, un témoignage. Ce n’est pas vraiment un personnage que celui qui, de la prison à la scène, se met à nu face à nous. Pas du tout innocent, pas du tout apaisant, pas non plus en train de nous jouer la comédie, il serait plutôt l’incarnation d’une complexité ontologique qui force à s’élever, à porter le débat un cran au‑delà. C’est du théâtre, du grand, forgé dans la douleur de la chair et dans l’émotion à fleur de peau. Poignant.
Il n’était pas encore majeur, Jean‑Marc Mahy, qu’il se retrouvait meurtrier de deux personnes, dont un policier, au cours d’une évasion qui a mal tourné. Un procès au Luxembourg dans une langue qu’il ne comprenait pas, une condamnation à perpétuité, et le voilà hors d’état de nuire. Comprendre : hors d’état de vivre, marqué au fer rouge de la faute, trace indélébile qui le placera hors circuit, invisible socialement. S’en suivront dix‑neuf années derrière les barreaux, dont trois au mitard dans un isolement total proche de la torture, et d’ailleurs interdit depuis.
Les choses ne sont jamais noires ou blanches, les bourreaux peuvent devenir victimes ou être un peu des deux à la fois, plus encore quand l’horizon a disparu, que le système stratégiquement établi de la peine n’est en rien un outil pour rendre l’homme meilleur. La scénographie est au service de cela : prendre en considération cet espace oppressant et ce qu’il révèle, une âpreté qui s’apparente plus à une sépulture qu’à un quelconque espace de vie. Ainsi quatre bandes de Scotch, au sol, matérialisent les contours de cette réclusion. Sur les cloisons, des tentures représentant des visages figés sont comme autant d’interlocuteurs imaginaires incrustés dans la matière. Car à force de s’adresser aux murs, ceux-ci prennent fatalement des allures de fantômes.
Quand l’exemple devient exemplaire
Ce récit, c’est un combat contre le temps perdu et contre un dispositif servant à faire disparaître la moindre parcelle d’empathie. Il y a des mots pour dire ça, et ils sont abrupts. Récits du quotidien et de la force à puiser on ne sait où pour tenir, sans métaphore ni parabole à chercher. C’est sec comme le béton, direct comme un uppercut. Un homme debout, cela s’appelle la dignité, peut‑être en lambeau mais toujours là, maintenue avec fureur. Debout.
Il y a des évolutions dans cet univers terne. Un jour Jean‑Marc Mahy a droit à une radio, cela devient l’univers, le moyen d’accès au savoir, à l’histoire, la culture. À la compassion aussi, avec la voix de Macha Béranger, la nuit. C’est peut‑être cette voix‑là, entre autres, qui a fait de cet homme un miraculé. Dans un univers pensé rigoureusement pour écraser, où il semblerait humain de devenir plus dur, plus tête brulée, plus agressif que jamais, Jean‑Marc Mahy puise on ne sait où la ressource pour commencer sa vie à 36 ans, devenir éducateur à sa libération, puis arpenter les prisons de jeunes avec un discours de médiateur.
Vu le propos, on serait tenté de se poser la question de la légitimité de ce témoignage, question ouverte qui s’éloigne de plus en plus de nos pensées à mesure que l’on entre dans l’histoire, dans ces 9 m² d’isolement. Est‑ce la parole d’un meurtrier ? En partie oui, mais pourtant à aucun moment je n’ai pu me dire ça, le définir par ce terme, enfin seulement par ce terme. Coupable et victime, gars paumé entre erreurs de jeunesse et faute irréversible, solitaire mal aimé recherchant le pardon, il passe de la figure d’exemple à celle d’homme exemplaire, travaillant sans répit au rachat de son âme.
Un homme debout ne fait pas partie de ces pièces dont on peut dire d’emblée qu’on a aimé ou non. Peut‑être que le propos est trop complexe, trop dense pour permettre ces avis tranchés. Il est de ces moments de théâtre qui touchent à l’humain dans ce qu’il a de plus problématique, se situant au plus près des nerfs et des émotions contraires. De ces moments qui nous remuent encore des jours et des jours après.
Par respect pour ses victimes, Jean‑Marc Mahy ne vient pas saluer. Mais ce qui se joue là, dans ce final justement salutaire, a valeur à la fois d’empathie, d’altruisme et de sens retrouvé. On applaudit. ¶
Aurore Krol
Un homme debout, de Jean-Marc Mahy
Mise en scène : Jean-Michel Van den Eeyden
Jeu : Jean-Marc Mahy
Compagnie : Théâtre l’Ancre
Photo du spectacle : © Luciana Poletto
Réservations : 02 99 79 76 36
Théâtre de la Parcheminerie • 23, rue de la Parcheminerie • 35000 Rennes
Jeudi 5 avril 2012 à 18 heures, vendredi 6 avril 2012 à 21 heures, samedi 7 avril 2012 à 14 h 30
12 € | 10 € | 5 €