« Va aimer ! », Eva Rami, Théâtre La Pépinière, Paris

Va aimer-Eva Ravi

Drôle d’oiseau !

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Vous pensiez avoir fait le tour des spectacles post #MeToo ? En effet, voilà encore une pièce sur les violences sexuelles, les tabous familiaux et l’émancipation des femmes… Or, la pétulante Eva Rami libère la parole intime de façon très singulière, drôle et grave à la fois. D’ailleurs, c’est le dernier Molière du meilleur seule en scène. Un spectacle sincère et généreux. Nécessaire parce qu’on en n’a jamais fini avec ces sujets-là !

Tout commence par une mémorable visite en terrain glissant ! Après des débuts grot(esque), les délires entre potes et les dérapages non contrôlés de la famille, on comprend enfin où Eva Rami veut en venir : inceste, harcèlement, sexisme, consentement, résilience…

L’intrigue ? Une grand-mère offre un oiseau à sa petite-fille qui veut ouvrir la cage, mais elle n’y parvient pas. Elsa aimerait en effet le libérer afin qu’il puisse s’envoler et trouver l’amour, sauf que quelque chose l’en empêche. Accompagnée de ses amies, de ses parents et de son thérapeute, la jeune femme replonge alors dans son passé pour comprendre la source de ce blocage. On la suit de l’école primaire jusqu’aux premiers amours, sur un chemin semé d’embûches.

Pluri(elle)

Après Vole qui interrogeait le passage de l’adolescence à l’âge adulte, le vol hors du nid, en quelque sorte, puis T’es toi ! qui se concentrait sur l’affirmation de soi, Va aimer consacre son intrigue à l’amour et aux différentes formes d’emprise. D’ailleurs, Va aimer est l’anagramme de son nom !

La comédienne interprète à elle seule tous les personnages, une vingtaine tout de même : la constellation familiale, le « médioum » (on adore !), la juge, sa bande. Quelle énergie ! Avec plus ou moins de tact, ces femmes vont relier toutes leurs histoires et, à la manière d’un chœur, les proches vont aider Elsa à exprimer sa colère. Au fil du spectacle, cette dernière s’affirme et prend de plus en plus de place. On entend sa voix. Et quelle voix !

Bas(cul)e

C’est la rencontre avec Charles qui fait tout basculer. Eva Rami nous balade d’un univers à un autre, en moins de temps qu’il le faut pour l’écrire. Tout s’enchaîne sans crier gare. C’est (un peu) scientifique, (parfois) technique mais aussi onirique ou politique. Et surtout comique. Toutefois, on préfère le grave au graveleux. Eva Rami a tant à dire ! Si ces personnages sont caricaturaux, le propos est nuancé, avec des figures masculines bienveillantes et des femmes terribles. Car l’artiste sait prendre de la hauteur. Cette autofiction est réussie grâce à la mise à distance et au travail dramaturgique.

Enfin, la mise en scène apporte de la matière, du contraste. Après un démarrage sur les chapeaux de roues, la comédienne prend le temps de poser ses personnages et de développer ses idées, de loin en proche. On sent sa formation (clown et jeu masqué), avec un engagement physique et une puissance expressive. Gestes, accents et saillies composent une galerie truculente.

Tour de force

Minimaliste, le décor est composé d’un banc et d’un micro suspendu, autour duquel s’organisent les scènes les plus fortes. Comment dire les choses ? Libérer la parole fait tanguer. Entre punchlines et respirations, Elsa #balanceSonPorc de façon saisissante, avec des fulgurances textuelles qui donnent envie de lire la pièce (parue chez esse que). À cela s’ajoutent quelques effets, plutôt bien vus.

Après coup, chaque scène s’éclaire et prend sens. On réalise que le spectacle est bien agencé, comme cette vie, jusqu’alors en lambeaux, à reconstruire. Autour du motif symbolique de l’oiseau en cage, la pièce tisse habilement un réseau d’histoires ayant toutes en commun l’enfermement. Jusqu’à la libération. Elsa peut désormais prendre son envol. Plus d’injonctions, si ce n’est celle de pouvoir s’aimer, pour vivre sa vie en toute liberté.

© DR

Eva Rami a su s’imposer avec grâce. Maintenant que ce 3volet l’a consacrée, on aimerait bien voir sa trilogie à l’affiche. Après le Théâtre National de Nice, qui l’a programmée dès février 2024 (dans le cadre du festival Trajectoires), quel théâtre pourrait donner à voir à nouveau cet ensemble à la belle cohérence ?

Léna Martinelli


Trilogie publiée chez esse que, 2024
Site de l’artiste
Site de Little Bros. (production)
De et avec : Eva Rami
Regard dramaturgique : Camille Boujot
Collaboration artistique : Alice Carré et Emmanuel Besnault
Esthétique du mouvement : Audrey Vallarino
Collaboration à la création Zoé Gilbert
Durée : 1 h 30

Théâtre La Pépinière • 7, rue Louis Le Grand • 75002 Paris
De 12 € à 28 €
Jusqu’au 24 février, les lundis à 21 heures
Billetterie : en ligne ou au 01 42 61 44 16

Tournée ici, dont :
Le 23 janvier, Piano’cktail, à Bouguenais (44)
• Le 24 janvier, L’éclat, à Pont-Audemer (27)
• Le 29 janvier, Maison de la Musique, à Nanterre (92)
• Le 6 mars, Cresco, à Saint-Mandé (94)
• Le 13 mars, Les 3 Pierrots, à Saint-Cloud (92)
• Le 14 mars, Théâtre du Cormier, à Cormeilles-en-Parisis (95)
• Le 22 mars, POC scène artistique d’Alfortville (94)

Photos © Gaëlle Simon

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