Parcours de combattante
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Le duo formé par Joséphine Chaffin à l’écriture et Clément Carabédian à la mise en scène au sein de la compagnie Superlune peut déjà se targuer de nombreuses œuvres de fiction pour la scène. S’ils destinent souvent leurs créations à un public d’adolescents, il serait dommage de les y cantonner. Vive, leur petite dernière pour tous, aborde la question de l’inceste, sans détour ni fioriture.
La pièce se construit et s’articule à travers la reconstitution du procès qu’Anaïs Lacascade intente à son père, accompagnée d’allers-retours dans les souvenirs des différents membres de la famille, ainsi que des témoins appelés à la barre (psychiatre, proviseur du lycée). Le public forme le quatrième mur d’une scène en quadrifrontal, se trouvant ainsi en position de jury. Sous ses yeux se dessine le portrait d’une jeune fille déterminée et d’un père dont la réputation ne laissait présager en rien qu’il soit un prédateur (les clichés ont de la suite dans les idées). Anaïs est en effet la fille d’une lignée de chefs étoilés et respectés.
En quelques tableaux, le metteur en scène qui interprète aussi le père de l’enfant montre l’emprise qu’il a sur elle, un mélange d’affection possessive, d’autorité jalouse et de violence : une main sur la cuisse, tandis qu’il lui fait réciter ses leçons ; les contraintes arbitraires comme celle de goûter un plat qu’il a préparé… Très vite et brutalement, une gifle cinglante et le monstre surgit derrière le père attentif. Elle est sa chose, et il lui faudra une volonté et une maturité sans faille pour lui échapper.
Des comédiens remarquables
Quatre comédiens occupent en permanence le plateau, changeant de costume au gré des personnages qu’ils incarnent. Entre ces mouvements et les moments de grande tension où le procureur questionne le silence de la mère, comme de la sœur d’Anaïs, le temps passe à vive allure, formant un réquisitoire implacable contre un crime qui ne peut perdurer que par la complicité des autres membres de la famille.
Ce spectacle est en ce sens très pédagogique, mais jamais donneur de leçon. Les propos des uns, les silences des autres, les embarras disent ce qui est tu. Sans tabou. Parce que le procureur ne lâche rien et pousse chacun dans ses retranchements. Il est incarné magistralement par Estelle Clément-Béalem, venue de la troupe de François Hien (dont on sent parfois la pâte) et qui est aussi cette mère dont la quête de pouvoir étouffe le sentiment maternel.
Face à lui, Clément Carabédian joue aussi le rôle de l’avocat de la jeune fille. Un autre homme occupe une place capitale dans cette famille, le grand-père paternel, que son amour pour Anaîs conduira à prendre des décisions difficiles. C’est Patrick Palmero, magnifique comédien.
Mais le personnage central, c’est évidemment Anaïs à laquelle Hermine Dos Santos prête son intensité et sa force. Car ce que met en évidence surtout cette pièce, c’est le courage qu’il faut aux victimes pour accuser ceux que malgré tout ils aiment, pour donner un coup de pied dans une fourmilière et y créer un cataclysme, pour refuser la culpabilité qu’on va tenter de leur faire vivre et emprunter un chemin de solitude.
Cela est magnifiquement montré par le texte subtil et sensible de Joséphine Chaffin. Une petite longueur à la fin avec la plaidoirie inutilement explicative de l’avocat, mais c’est un léger bémol dans ce spectacle qui a tenu en haleine des classes incroyablement silencieuses. 🔴
Trina Mounier
Vive, de Joséphine Chaffin
Le texte est édité chez Éditions Éoliennes
Cie Superlune
Mise en scène : Clément Carabédian et Joséphine Chaffin
Avec : Clément Carabédian, Estelle Clément-Béalem, Hermine Dos Santos et Patrick Palmero
Création lumière : Mathilde Domarle
Création sonore : Théo Rodriguez-Noury
Création costumes : Agathe Trotignon
Chorégraphe : Nina Vallon
Durée : 1 h :30
Dès 13 ans
Théâtre Théo Argence • Place Ferdinand Buisson • 69800 Saint-Priest
Le 2 février 2024
Billetterie : 04 81 92 22 30
Tournée :
• Les 11 et 12 avril, Comédie de Reims, dans le cadre du Festival Méli’Môme
• Du 27 au 31 mai, Scène Nationale de Mâcon, hors-les-murs (collèges)
• Le 21 ou 22 juin, TNP et Théâtre des Célestins, dans le cadre du Prix Incandescences, à Lyon
• Du 3 au 21 juillet, Théâtre du Train Bleu, dans le cadre du Festival Off Avignon
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Les beaux ardents, de Joséphine Chaffin, par Trina Mounier
☛ Ton tendre silence me violente plus que tout, de Joséphine Chaffin, par Trina Mounier
Photos © Julie Cherki