« Wakan », « Metamortem », « Mizu», « 95 % mortel », reportage, Festival Chalon dans la rue IN 2025, Chalon-sur-Saône

Wakan - Cie Pernette © Melanie Broquet.

Rituels païens

Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

En ces temps de tension, les arts de la rue tentent de renouveler les manières de communier à ciel ouvert, dans l’espace public. Découverte de quelques rituels de prière, de réparation ou de conjuration dans la programmation du IN du festival Chalon dans la rue.

Se retrouver dans l’espace public ne va plus de soi. N’en déplaise à ses contempteurs qui le réduisent à une tapageuse fête alcoolisée, Chalon dans la rue reste une hétérotopie, un espace où s’abriter du monde pour revivifier nos imaginaires et savourer quelques moments de fraternité. Ainsi, à la tombée de la nuit, au pied du parvis d’une église chalonnaise, six danseur·euse·s se glissent, en duo, sur la dalle effritée. Des officiants en noir, tête emplumée, dos courbé, alignent de petits pas de loup entrecoupés d’adresses régulières au ciel. Une voix murmure des enchantements d’être au monde. On reconnaît l’ancrage terrestre des danses cérémonielles : arpentages tissés de souffles et de génuflexions, comme pour mesurer prudemment l’espace du sacré – Wakan en langue sioux.

« Wakan », Cie Pernette © Mélanie Broquet

La spiritualité innerve depuis plusieurs années les recherches de Nathalie Pernette. Elle se glisse comme une souris espiègle dans une exploration des danses rituelles pour y poser sa patte : précision des gestes, univers sonore saisissant et influences hip-hop de ses époustouflants interprètes. Le souffle est là, bientôt rythmé par des tambours. L’éclairage passant du violet au rouge sang convoque le battement cardiaque. On est en vie, bien en vie. Dans une maîtrise millimétrée, quasi horlogère.

Ce n’est pas une chorégraphie cousue main pour la rue. La figure du carré semble prédominer sur celle du cercle, trahissant la géométrie des salles. La cérémonie prend toutefois une dimension plus aérienne et transcendante devant cet édifice religieux, au cœur d’une foule en tri-frontal. Elle résonne tout autant au pied du squelette d’une cathédrale post-industrielle, comme la friche de l’usine de la Rodiaceta à Besançon. Après les gisants et les sorcières, il semble que Pernette coulisse du fantastique vers le mystique, dans un désir de redonner de la foi au monde. On rêve de la voir dialoguer plus fort avec l’in situ, qu’elle se saisisse par exemple d’un cimetière, lieu qu’elle affectionne, espace tabou.

Des contre-funérailles qui s’étirent

Quel lieu plus adéquat que l’Abattoir pour organiser une cérémonie funéraire alternative ? Le collectif du Grand Dehors souhaite réparer nos mauvaises expériences : enterrements sans mots et sans âme, crémations à la va-vite… À l’entrée de Metamortem, chacun·e peut inscrire au feutre noir sur un ballon blanc ce qu’il ne veut plus vivre : erreur sur le prénom du défunt, officiants pressés ou qui rabattent le discours panégyrique sur leur dieu.

« 95% mortel », Cie du Coin © Loïc Nys

Le spectacle débute par une leçon d’anthropologie : une maîtresse de cérémonie à costume XL retrace, via une frise chronologique, les traditions humaines pour faire passer les corps sans vie vers l’au-delà. Aussi, sitôt une symbolique porte lumineuse passée, la malicieuse Maryne Lanaro, issue de la Fai-ar, souhaite effacer nos souvenirs calamiteux. Forte d’une expérience professionnelle en milieu funéraire, elle nous propose un rituel en espace public : « Ce qu’on va faire ici, je l’ai déjà vu en vrai ; et ça a réussi… ou raté ! » Quelques anecdotes insolites, mais l’affaire est grave et ne doit pas être prise à la légère, car ce sont nos chers défunts qu’elle met littéralement entre nos mains, dans un tasse, via une bougie qui risque de s’éteindre.

L’intention est pertinente et précieuse dans notre société traumatisée par la période du confinement. Et les idées ne manquent pas, comme cette convocation de la Loba, passeuse chère au grand-père. Ou des échanges de souvenirs avec nos voisins de banc. Las, c’est un peu sommaire. Et tire-larmes pour les personnes fraîchement endeuillées. Toutes les trouvailles s’étirent : l’épisode de l’autel de bougies, comme la danse, ou encore cette digression scientifique d’un homme qui cherche légitimement comment pleurer la perte d’un glacier. Sans parler de l’épisode de hand-ball qui tombe à côté de la plaque. L’ensemble manque de rythme. Il y a pourtant nombre d’images qui laissent imaginer un spectacle poignant. Comme cet être de l’entre-deux qui charrie nos inspirations sur bandelettes. Magnifique !

Crise de liquidités

Il est encore question de la fonte des glaciers – l’effondrement et la solastalgie guettent – dans un spectacle flottant sur la Saône : Mizu des cies Furinkai et L’Entrouvert. Ce trio collapso sur l’eau (Mizu en japonais) réunit une marionnette de glace, une danseuse et une marionnettiste. Tandis qu’une plateforme s’enfonce peu à peu dans la rivière, résonne un discours scientifique sur la fonte des glaciers. Un être de fil de fer et de muscles en glaçons se déploie en musique dans la chaleur châlonnaise. L’issue se devine. Émotion palpable dans la foule quand un premier pied s’effondre.

« Mizu », Cie Furinkai et Cie L’Entrouvert © Mélanie Broquet

De face, les ficelles se confondent avec les couleurs sombres des arbres. Le duo femme-corps translucide est aérien, suspendu. L’être de glace semble avoir sa vie propre. Quoique éphémère. Depuis les côtés de la berge, on aperçoit les ficelles qui racontent une autre histoire, celle du rôle de l’humain qui tire, pousse, manipule. Le ravissement repose sur de très belles images en suspens, une fragile tentative d’accord, de soutien. Toutefois, peu de fils dramaturgiques permettent de s’inventer une autre histoire que la perte. Le rituel semble celui d’une dernière danse gracieuse, impuissante, avant la disparition. Hypnotisant mais réfrigérant !

La fin du monde en fanfare

Côté rituel fédérateur, on salue avec chaleur la Compagnie du Coin. Elle déboule comme un chien fou au milieu du public et se recompose en ligne, en colonne, en déambulation ou en tête à tête. Elle malaxe et dérange allégrement les corps avec ses cuivres tonitruants. Impossible de rester impassible. Cette fanfare du 3e type investit la place carrée dans tous les sens, jouant de tous ses possibles. On aime cette capacité à envisager l’espace et les gens pour les plier dans tous les sens comme un origami. Elles étaient rares, dans cette édition, les formes qui poétisent les lieux en les considérant comme un vrai partenaire.

« Metamortem, contre-funérailles », Collectif Grand Dehors © Stéphanie Ruffier

Le spectacle 95 % mortel craint pour l’humanité qui pourrait bien courir vers son extinction. En témoigne ce sac frappé du sigle XXI qu’on s’échange comme une patate chaude. Un tic-tac menaçant semble indiquer que le compte à rebours a déjà commencé. N’empêche, l’équipe, intranquille, pousse du trombone à coulisse, déloge notre immobilisme au tambour. Oui, c’est urgent. Non, on ne reste pas les bras ballants. Et si on se tournait vers le ciel ? Et si le salut venait d’en-haut ? Avec humour et fraternité musicale, on nous propose ici des solutions terrestres, vibrantes. Une communion par l’oreille, le c(h)œur et le sourire !

Stéphanie Ruffier


Wakan, Un souffle, cie Pernette
Site de la compagnie
Chorégraphie : Nathalie Pernette
Avec : Pierre Boileau-Sanchez, Lucien Brabec, Lou Dormois, Jessie-Lou Lamy-Chappuis, Antony Michelet, Cloé Vaurillon
Durée : 1 h 15
Tout public
Tournée ici :
• Le 12 septembre, Art’R, à Paris (75)
• Le 28 avril 2026, L’Arc, scène nationale, Le Creusot (71)
• Le 30 avril, Théâtre du Parc, à Andrézieux-Bouthéon (42)

Métamortem, contre-funérailles, Collectif Grand Dehors
Site de la compagnie
Interprète et chercheuse : Lou Joubert ou Anaïs Gallard 
Interprète : Aurélien Pawloff
Conseiller justesse et accompagnant à l’écriture : Élie Guillou 
Direction artistique et maîtresse de cérémonie : Maryne Lanaro
Durée : 1 h 45
Dès 11 ans
Tournée :
• Les 18 et 19 septembre, Festival Merci Bonsoir, à Grenoble (38)
• Le 31 octobre, Théâtre Foirail, Chemillé-en-Anjou (49)

Mizu, cie Furinkai et cie L’Entrouvert
Extrait de texte : Olivier Remaud, Penser comme un iceberg, Babel poche, 2023, p.62-63 
Site de la compagnie Furinkai
Site de la compagnie L’Entrouvert 
Conception et mise en scène : Satchie Noro et Élise Vigneron
Marionnettiste : Sarah Lascar
Chorégraphie et danse : Satchie Noro
Voix off : Millaray Lobos
Durée : 2 heures
Tout public dès 12 ans
Tournée  ici :
• Le 6 septembre, Étang de Méréglise, Festival la Grande Balade (28)
• Le 11 septembre, Festival de marionnettes de Basel (Suisse)
• Le 14 septembre, Étang du Château de Grouchy, festival Cergy Soit !, à Osny (95) 
• Les 20 et 21 septembre, Plan d’eau du Parc François Miterrand, festival Cergy Soit !, à Cergy (95)
• Du 23 au 25 septembre, Port du Mont-Olympe, Pastille 21, Festival Mondial de Théâtre de marionnettes, à Charleville-Mézières (08)
• Le 4 octobre, Festival Artonov, à Bruxelles (BE)
• Du 19 au 21 octobre, Théâtre Joliette, Festival Ribambelle, à Marseille (13)

95 % mortel, Cie du Coin
Site de la compagnie
Co-mise en scène : Prisca Villa, Lluis Petit et la Cie du Coin
Avec : Alexandre Berton (grosse caisse), Aline Bissey (flûte et chant), Franck Bodin (caisse claire), Simon Couratier (saxophone baryton), Clément Desbordes, Gwenn Le Bars (saxophones), Charlotte Rigault ou Gaël Riteau (trompette), Cyril Solnais (Trombone)
Durée : 1 heure
Tout public
Tournée ici

Festival Chalon dans la rue 2025, du 17 au 20 juillet
Plus d’infos ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Reportage à Viva Cité, Sotteville-lès-Rouen, par Stéphanie Ruffier
Reportage aux Rugissantes, Le Creusot, par Stéphanie Ruffier

Photo de une : « Wakan », Cie Pernette © Mélanie Broquet

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