« Holden », cie Le Café Vainqueur, critique, La Manufacture, Festival Avignon Off 2025

holden-Le Café vainqueur © Marc Tsypkine de Kerblay

En quêtes

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Peut-on échapper à son héritage familial ? Inspiré de l’Attrape-cœurs, la pièce de Guillaume Lavenant traduit l’urgence de vivre, dans un témoignage poignant d’une victime de harcèlement. Une intensité parfaitement restituée par le jeu instinctif de Mégane Ferrat dans la mise en scène sensible de Marilyn Leray. Holden a enthousiasmé le Festival off d’Avignon, deux années de suite et continue de tourner, après le Théâtre Dunois. Excellente nouvelle !

Lola a 16 ans. Elle veut qu’on l’appelle Holden. Non pas qu’elle veuille s’identifier à un garçon, mais elle aimerait être quelqu’un d’autre. Alors, autant que ce soit une figure qu’elle adore : Holden est le personnage fascinant du roman phénomène de J. D. Salinger publié en 1951, un adolescent issu de la bourgeoisie qui vit trois jours mouvementés loin de son internat. Une errance déterminante dans les rues de New York.

Soif d’ailleurs

La question de l’adaptation est au centre du travail de Marilyn Leray qui a commandé un texte à l’auteur nantais Guillaume Lavenant : « Nous l’avons envisagé comme une référence assumée à ce roman. Néanmoins, le but était de n’en garder que le souvenir, afin de dégager les thèmes qui nous importent à tous les deux, l’adolescence et ce qu’elle fait émerger comme problématiques ».

Résultat : dans un seul en scène, Lola s’impose en double du narrateur-personnage de J. D. Salinger, centrant le propos sur la quête de sens et d’identité d’une adulte en devenir. Comment gérer notre libre arbitre, plus ou moins grand, selon les épreuves passées ?Car résister aux déterminismes sociaux, c’est aussi bousculer les genres, les codes, quitte à se brûler les ailes. L’écriture au plateau donne lieu à une histoire inédite, à la langue nerveuse et concrète. Les récits se croisent, comme les personnages, nombreux dans le cerveau en ébullition de Lola.

Trouver sa voie… Incarnation d’une jeunesse paumée, Holden commence par fuguer. En attendant son amie avec qui elle a planifié cette fuite, elle nous parle d’elle, de ce qui l’anime. Tant de sentiments contraires et incontrôlables l’envahissent : malgré ses dires, elle a la trouille. La peur de partir, donc de grandir et de changer, l’amène à s’inventer une réalité parallèle : « Vous pensez que je suis folle ? », lâche-t-elle au psychologue de son lycée.

De délires en dérives

On suit volontiers cette adolescente cabossée, à fleur de peau, rebelle. Ange et démon. Assise sur une palette, au milieu des détritus, elle nous touche tout de go. Holden veut partir au Portugal sur un bateau, en bonne compagnie. Pour l’instant, clouée au sol, murée dans sa solitude, elle soliloque, partageant ce qui lui passe par la tête : « J’ai le cerveau qui pédale ». Son esprit est sinueux et elle fait peur : « Être en colère, ça empêche d’être triste », lâche-t-elle, « moi je veux faire un carton ». Son couteau pas loin, elle lance des bouteilles à la mer : « J’aime bien les gens qui aident les autres ». On voudrait la prendre dans nos bras.

La mise en scène est d’une grande délicatesse, au service de la puissance du propos : « On trouve des images quand on ne peut pas exprimer l’indicible », explique Marilyn Leray. Aurait-on vu le scotch aux poignets si Lola ne s’était pas métamorphosée en batteuse. Un drôle d’emballement qui signifie bien plus qu’une admiration à Phil Collins !

© Jérôme Teurtrie

Découpé par la lumière et parsemé par quelques éléments épars, le plateau est imprégné par la présence de la comédienne et de sa voix, ainsi que par la bande sonore et musicale composée par Rachel Langlais, qui fait s’entrechoquer rock et orgue. Métal et cordes font résonner le texte. Sonorités sacrées traduisent le désir d’envolées, sauf qu’il y a du plomb dans l’aile. La tension est palpable. Le mystère, au départ insondable, devient clair comme de l’eau de roche. La faute à cette « saloperie d’enfance »…

Cœur à cœur

Mégane Ferrat compose une figure très attachante, qui œuvre difficilement à construire sa propre histoire. L’interprétation tout en contrastes de la jeune comédienne peine à contenir cette violence qui déborde. Entre toute-puissance et vulnérabilité, elle est bouleversante. Habitée par son rôle, elle joue avec ses tripes et maîtrise les ruptures de ton. Son débit impressionne et ses silences en disent long quand elle promène sa silhouette androgyne et dégingandée, dans les pas de son antihéros tourmenté.

© Marc Tsypkine de Kerblay

S’engage-t-elle sur le bon chemin ? En tout cas, on ne la lâche pas d’une semelle. Parfaitement dirigée, Mégane Ferrat déploie un jeu verbal et physique d’une grande maturité. Une révélation ! Comme pour Holden, on lui souhaite de tracer sa route vers de beaux horizons.

Léna Martinelli


Site de la cie Le Café Vainqueur (LCV)
Conception et mise en scène : Marilyn Leray 
Avec : Mégane Ferrat
Dès 14 ans
Durée : 1 h 05

La Manufacture • 2 rue des Écoles • 84000 Avignon
Du 5 au 21 juillet 2025 (sauf le 17) à 14 h 50
Tarifs : de 10 € à 20 
Réservation en ligne • Tel. : 04 90 85 12 71
Dans le cadre du Festival Avignon Off 2025

Tournée ici :
• Le 6 novembre, La Minoterie, à Dijon
• Le 25 novembre, Jardin de Verre, Cholet
• Les 27 et 28 novembre, Théâtre ONYX, St-Herblain
• Le 4 décembre, La Paillette, à Rennes
• Le 12 février 2026, Eve, au Mans
• Le 19 mars, Théâtre de la Tête Noire, à Saran
• Les 26 et 27 mars, Théâtre Gérard Philipe, à Frouard
• Les 7 et 8 avril, Le Quai, à Angers
• Les 12 et 13 mai, Maison du Théâtre, à Brest

Spectacle vu au Théâtre Dunois • 75006 Paris • Le 10 mars 2025

Photo de une : Marc Tsypkine de Kerblay

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