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« Celui qui tombe », de Yoann Bourgeois, Opéra de Lyon

« Celui qui tombe » © D.R.

L’art de la chute

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Surprenante création que celle que propose à la Biennale de la danse, sur le plateau de l’Opéra de Lyon, Yoann Bourgeois. Acrobate, acteur, jongleur, danseur et metteur en scène, il fait avec « Celui qui tombe » la démonstration vertigineuse de ses multiples talents.

Sur scène, un massif et épais plancher suspendu à des câbles s’incline, se dresse, tourne comme un manège, se fixe, tangue, oscille telle une balançoire. Métaphore évidente de notre planète Terre devenue anguleuse, carré de bois presque brut à la rigide froideur. Sur cette sorte de machine, trois femmes et trois hommes tentent de survivre, de trouver leur équilibre et de former un groupe uni. Un second niveau symbolique s’inscrit. Nous vivons dans un monde instable et périlleux qui rend quasiment impossible de rassembler des forces collectives.

De ce parti pris élémentaire sont successivement tirées des images violentes, paisibles ou humoristiques. Courses folles jusqu’à l’épuisement quand le décor s’emballe et tourne sur lui-même à une vitesse saisissante. Escalade harassante lorsque la verticalité du dispositif scénique contraint les protagonistes à progresser comme à l’assaut d’une dune dont le sable n’en finit pas de glisser sous leurs pas. Pauses rassurantes si le plancher se stabilise et offre aux acrobates, jambes pendantes au-dessus du vide, la possibilité de jouir du point de vue d’un éphémère belvédère ou celle de s’étreindre amoureusement. Ou encore celle de savourer le retour dans le groupe de celui qui s’était égaré ou qui semblait mort.

Accompagné de citations musicales classiques, d’un standard chahuté du music-hall ou des bruits amplifiés de la machinerie de la scénographie, le spectacle émeut, surprend et déconcerte. Il émeut parce que la performance physique des interprètes constamment en danger est sans concession. Il surprend parce que le décor, véritable invention, possède de stupéfiantes possibilités cinétiques. Il déconcerte parce que cirque, danse et théâtre semblent comme retenus, empêchés de libérer pleinement la puissance et la poésie de leurs langages respectifs. À trop vouloir embrasser, le travail artistique de Yoann Bourgeois ne donne parfois à voir que le squelette des choses. La répétitivité de certaines séquences en est peut-être l’indice.

La machine à théâtre

Reste que Celui qui tombe se présente comme une œuvre intéressante, ne serait-ce que par sa volonté d’expérimentation. Le goût pour la recherche de Yoann Bourgeois est connu, et les dossiers de ses créations n’ont pas peur de la théorie. Celui qui tombe fait référence à Spinoza. Il aurait pu ajouter Galilée, Kepler et Newton. Mais ce qui est passionnant dans la démarche de ce nouvel opus concerne son choix de jouer avec le théâtre. Ses artistes de cirque, bien que muets, agissent comme des comédiens : situations vécues, regards habités, gestes motivés. Le collectif figure une petite troupe soudée par la précision et l’intelligence d’un atelier théâtral bien mené.

Une image, par exemple, souligne la qualité de ce théâtre-là. Suspendus par les mains à trois mètres du sol, les acteurs, étranges fruits accrochés à une branche, se défient des yeux, fixent le public avant de se laisser tomber. La vie ne serait-elle qu’un lent mûrissement conduisant inexorablement à chuter et à mourir ? Une autre image aussi, bouleversante. Un chant a capella pendant lequel les comédiens forment un chœur errant. La vie ne serait-elle qu’une longue quête sans but ? On se prend à rêver qu’avec un beau texte à servir, Yoann Bourgeois rassemble dans un nouveau projet toutes ses qualités et transforme ses machines à presque danser en véritables machines à théâtre. 

Michel Dieuaide


Celui qui tombe, de Yoann Bourgeois

Conception, mise en scène et scénographie : Yoann Bourgeois, assisté de Marie Fonte

Interprètes : Mathieu Bleton, Julien Cramillet, Marie Fonte, Dimitri Jourde, Élise Legros, Vania Vaneau

Lumières : Adèle Grépinet

Son : Antoine Garry

Costumes : Ginette

Réalisation scénographique : Nicholas von der Borch, Nicolas Picot et Pierre Robelin

Photo : © D.R.

Production : Cie Yoann-Bourgeois

Coproduction : M.C.2 Grenoble, Biennale de la danse, Théâtre de la Ville à Paris, maison de la culture de Bourges, L’Hippodrome, scène nationale de Douai, Le Manège de Reims, scène nationale, Le Parvis, scène nationale de Tarbes-Pyrénées, centre culturel Agora, pôle national des arts du cirque de Boulazac, Théâtre du Vellein, La Brèche, pôle national des arts du cirque de Basse-Normandie (Cherbourg-Octeville)

Avec le soutien de la S.P.E.D.I.D.A.M., de l’A.D.A.M.I. et de P.E.T.Z.I.

Opéra de Lyon • place de la Comédie • 69001 Lyon

www.opera-lyon.com

www.biennaledeladanse.com

Représentations : 20 septembre 2014 à 21 heures et 21 septembre 2014 à 16 heures

Durée : 1 h 15

Plein tarif de 29 € à 10 €, tarif réduit de 26 € à 7 €

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