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Entretien avec Renaud Frugier, metteur en scène, comédien, membre de la coordination des intermittents et précaires

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Pour une intermittence solidaire !

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Certains brandissent aujourd’hui l’idée d’union nationale. Renaud Frugier, co-auteur du hashtag « Luttons Pour Ne Pas Mourir », appelle, lui, à un nouveau Conseil National de la Résistance et invite à ne pas s’enferrer dans la distinction entre des artistes sacralisés et les autres intermittents sacrifiés. Il nous explique ici sa position, au sein de la Coordination des intermittents et précaires (C.I.P.).

Vous militez pour que les droits de l’ensemble des intermittents, et pas seulement ceux du spectacle, soient défendus. Comment avez-vous pris conscience de la nécessité d’une lutte commune ?

En 2003, lors des premières grandes attaques sur les annexes 8 et 10 du régime de l’assurance chômage (qui concernent l’intermittence), nous avons pris conscience de la spécificité de nos emplois dans le domaine artistique, au sens où ils sont discontinus. Mais ce type contrat a explosé dans de très nombreux domaines depuis, puisque, l’an passé, 90 % des créations d’emplois concernaient des C.D.D de très faible durée.

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« Le Message de Naty » © Naty

En quoi la question de ce que vous appelez « l’intermittence de l’emploi » est-elle vitale au temps du coronavirus ?

Nous avons été interpelés, à la C. I. P., par des intermittents de l’emploi, des maîtres d’hôtel, des gens qui travaillent dans la restauration et qui ne bénéficient pas du chômage partiel car ils sont des extras et sont appelés au dernier moment, parfois pour des festivals comme Cannes ou Avignon. Durant le confinement, ils se retrouvent sans aucun droit, si ce n’est pour ceux qui touchaient le chômage, celui de bouffer leurs indemnisations.

Ils n’ont pas l’espoir de retrouver une couverture assurance-chômage après le confinement, d’autant qu’il y a eu un décret en octobre dernier qui rend l’obtention de l’indemnisation très difficile. Or, ce décret n’a pas été abrogé mais son application est reportée à septembre ! Concrètement, c’est le basculement dans la précarité à vitesse extrême. C’est la double peine, celle de vivre l’épidémie et de basculer sans rien.

Tenir la main pour éviter la mort sociale

C’est ce que vous rappelez, avec le collectif, « Luttons Pour ne Pas Mourir », notamment dans le hashtag du même nom ?

Oui, des intermittents de l’emploi nous ont contactés pour nous dire qu’ils étaient en train de crever et nous demander ce qu’on pouvait faire. On leur a proposé de faire une vidéo et une exposition virtuelle avec leur visage et un panneau qui exposerait leur situation à chacun. Malheureusement, toutes les minutes, on a des témoignages. Et cela va continuer s’il n’y a pas de mesures d’urgence.

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« Luttons pour ne pas mourir »

Que répondriez-vous à ceux qui vous reprochent l’intitulé de ce hashtag « Luttons Pour ne Pas Mourir » au moment où on enregistre tant de décès à cause du coronavirus ?

J’évoquerais la réaction d’une infirmière qui nous a dit voir des gens mourir tous les jours à l’hôpital et leur tenir la main tout en sachant ce que signifie une mort sociale et qu’elle tiendrait aussi nos mains par solidarité. Le chômage tue chaque année et là ce sera encore plus marqué. À plus ou moins long terme, une mort sociale est suivie d’une mort physique. On fait justement un coup de projecteur sur ce long terme. Ces gens, on ne les oppose pas à ceux qui meurent à l’hôpital évidemment.

Ne risque-t-on pas d’affaiblir la revendication en associant les intermittents du spectacle aux autres intermittents de l’emploi ?

Répondre en se focalisant sur les artistes est une erreur grossière de la part des pouvoirs publics, car dans le milieu de la culture, il n’y a pas que les artistes. Il y a aussi par exemple les techniciens. Mais de toute façon, je ne vois pas la différence entre une femme de ménage et un artiste dans le contrat. Dans les deux cas, les temps chômés n’existent pas entre deux temps payés.

Le chômage n’est pas une charité et nous ne sommes pas responsables de l’état de l’emploi en France. Il faut prendre le gouvernement au mot : « On ne laissera personne sur le bord de la route ». Une tribune d’artistes est d’ailleurs parue dans Le Monde qui refuse la distinction. Le problème est peut-être à poser aux médias qui se focalisent sur la culture comme si elle était hors sol : qu’attendent-ils donc de la culture ? 

Propos recueillis par
Laura Plas

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