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Entretien avec Valérie Leroux et Cyrille Baron, directrice et coordinateur du théâtre La Paillette, à Rennes 

Valérie Leroux : « La question de l’accessibilité que beaucoup de tutelles se posent, je la pose à l’envers »

Propos recueillis par  Olivier Pansieri
Les  Trois  Coups 

Des centaines d’amateurs issus des ateliers de La Paillette M.J.C. se lancent à la rencontre du public au cours des « Envolées », un festival donné par des amateurs motivés à Rennes. Ce « lâcher de talents » se déroulait cette année du 23 mai au 29 juin.

Deux mots sur ces « Envolées » ?

Cyrille Baron : C’est un temps fort de cinq semaines concentrées sur la pratique en amateur : soixante ateliers répartis sur du théâtre, de la danse, des arts plastiques et de la musique, qui pendant un mois se produisent. Alors, ça peut être un chantier ouvert, un spectacle abouti, différentes formes de rencontres avec le public. Valérie, je te laisse répondre sur le sens politique du projet.

Valérie Leroux : Ce moment est essentiel, déjà parce que nous sommes une Maison des jeunes et de la culture. La question des pratiques en amateur y est donc essentielle. Ensuite, parce que faire, c’est déjà éprouver. Cela permet aux participants de découvrir les clés, les codes artistiques, avant d’aller eux-mêmes voir un spectacle professionnel, souvent pour la première fois. La Paillette a cette chance de coproduire des compagnies qui y travaillent en résidence et qui interviennent, donc, en échange tout au long de l’année dans ces ateliers. Cette articulation est précieuse, nous y tenons.

Ces gens de théâtre, qui sont-ils ?

C.B : Pour certains, c’est une longue histoire avec le lieu. Mais la plupart sont des artistes professionnels, qui ont fait le conservatoire, sont passés par le Théâtre national de Bretagne. La Compagnie Fièvre, par exemple. On demande à ces troupes de s’investir dans les ateliers, de leur consacrer du temps. Ce n’est pas toujours facile, car elles ont leurs contraintes de tournée, de répétitions…

V.L : L’intérêt de ces professionnels qui encadrent les amateurs, c’est qu’ils créent un rapport à la création, au spectateur, à la fois naturel et privilégié.

Et les participants ?

C.B : Je dirais qu’ils viennent de partout. Qu’on parle des milieux, des âges, des parcours de chacun : c’est très varié. Alors, il n’y a pas de « niveau », au sens scolaire du terme, mais il faut quand même que les gens, avec leur bagage, s’y retrouvent. Quelqu’un qui a dix ans de théâtre, n’est pas un débutant. Et quelqu’un qui a dix ans de théâtre, sans avoir été formé sur les techniques du jeu d’acteur, ce n’est pas la même chose non plus. On défend l’idée d’un professionnel qui encadre.

V.L : Et puis les compagnies choisissent, elles aussi au départ, le niveau auquel elles veulent s’adresser. Parce que, selon les cas, elles n’auront pas le même degré d’exigence, la même envie d’aller plutôt vers des débutants que des confirmés. C’est là que Cyrille intervient, parfois pour redéfinir où se situe la pratique.

Vous faites le lien ?

C.B : J’essaie. Un lien d’accompagnement, de conseil, d’écoute beaucoup, quand ils ont des difficultés avec une personne, ou un groupe, ou le projet. Je m’efforce de garder une vue d’ensemble, d’irriguer le travail.

V.L : Ça signifie aussi créer des dynamiques, favoriser ce qu’on appelle les « transversalités ». Pour L’Opéra de Quat’sous, par exemple, dans un atelier de Frédérique Mingant, des groupes vocaux ont collaboré avec les acteurs.

La frontière est parfois ténue entre professionnels et amateurs. N’y a-t-il pas là un risque de « miroir aux alouettes » ?

C.B : On peut parfois être troublé, du fait de l’engagement de nos intervenants qui mouillent la chemise et qui mobilisent leurs groupes. Mais pour moi, l’amateur reste l’amateur.

V.L : À l’exception de quelques jeunes repérés dans nos ateliers, qui ont un niveau de pratique assez exceptionnel pour que l’on songe à les orienter vers une formation. Mais on évite toute confusion, ni avec l’amateur, ni pour le spectateur. J’insiste sur ce point. Il y a, pendant la saison, des spectacles professionnels, qui peuvent être ponctués par des réalisations d’amateurs, mais c’est précisé. On ne mélange pas.

Aucun problème d’assiduité pendant le montage de ces 25 spectacles réunissant près de 300 comédiens ?

V.L : Non, dans l’ensemble, ils sont sérieux. La difficulté qu’on rencontre, c’est plutôt avec les enfants et les adolescents. Parce que les parents n’ont pas forcément mesuré la dimension collective du théâtre. Donc cette nécessité, à partir du moment où on s’engage dans un atelier, d’aller jusqu’au bout.

Je suis frappé par la jeunesse de votre public, tant au cours de ces « Envolées » que, pendant l’année, aux spectacles.

V.L : Pendant les « Envolées », c’est un peu normal : ils vont voir les copains. Le restant de l’année, c’est notre fierté : 60 % de nos amateurs fréquentent le théâtre. C’est dû au fait que des artistes interviennent, comme je vous disais, dans nos ateliers. Mais aussi à ce que nous appelons les « parcours-spectateurs », au cours desquels les amateurs peuvent assister à des répétitions, rencontrer les acteurs, échanger, et ensuite aller au spectacle, accompagnés de l’intervenant. Cela crée une dynamique. Et puis il y a à Rennes un vrai public pour le théâtre, dont beaucoup de jeunes, c’est un fait.

Peut-on déjà faire un bilan de cette édition 2018 ?

C.B : Elle a rassemblé pas loin de 4 000 personnes. Dans les points positifs, il y a eu ces échanges entre les disciplines : chant, art dramatique, danse, etc., ces groupes qui jouent hors les murs, le présence du quartier dans une exposition réalisée par une artiste qui y habite. 

Et sinon, au plan financier, comment se présente l’avenir ?

V.L : La Paillette a notamment pour mission de soutenir la création régionale. Nous sommes à Rennes, aux portes de la Bretagne, inscrits dans un réseau de partenaires bretons, mais aussi du Grand-Ouest : une « scène conventionnée » avec la ville de Rennes, souhaitant le devenir avec la région et la DRAC. Les termes de ces conventions vont être rediscutés et il est clair pour nous que nos moyens actuels ne nous permettent pas d’assumer sereinement toutes nos tâches. L’animation, la diffusion, le soutien des troupes émergentes, tout cela requiert du temps, mais aussi de l’argent.On accueille 15 spectacles professionnels par an, on a 5 compagnies en résidence (et on reçoit à ce titre une aide spécifique de la DRAC), et puis nos pratiques d’amateurs qui s’autofinancent.

Que faudrait-il, selon vous ?

V.L : Nous aider à mieux compenser la taille modeste de la salle. La jauge n’est que de 200 places, donc forcément déficitaire. Ce n’est pas une raison pour n’y accueillir que des stand-up. Gérer avec rigueur est une chose, négliger l’action culturelle en est une autre. C’est d’autant plus râlant que nous avons ici des artistes formidables, solidement implantés, qui proposent des pistes de travail, une recherche à laquelle nous souhaitons associer certains de nos participants, ceux qui ont envie d’approfondir leur réflexion sur les codes théâtraux, la mise en scène, etc.

Pour faire tâche d’huile…

V.L : Bien sûr. La question de l’accessibilité que beaucoup de tutelles se posent, je la pose à l’envers. Plutôt que : « Pourquoi les gens ne viennent pas ? », demandons : « Nous, en quoi allons-nous vers les autres ? ». C’est ce qu’il faut avoir en tête. Ce projet demande du temps, des personnes qualifiées parce que ça ne s’invente pas : du personnel, du matériel, bref des moyens. ¶ 

Propos recueillis par Olivier Pansieri

☛ Lire aussi La Paillette, nid d’espoirs, par Olivier Pansieri 


Les Envolées,  37e édition du festival de théâtre amateur  

La Paillette •  2, rue du Pré de Bris  • 35000 Rennes 

Du 23 mai au 29 juin 2018

De 2  à 5 €

Réservations : 02 99 59 88 86

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