Naître ou ne pas naître ?
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Après une vibrante pièce sur l’euthanasie, Côme de Bellescize traite d’un autre sujet délicat, le handicap, dans un spectacle volontairement décalé. Moins convaincant, même si ce plaidoyer pour le droit à la différence et le libre arbitre mérite d’être vu.
Sam et Sarah essaient en vain d’avoir un bébé. Le couple persiste et voit son désir accompli grâce à une fécondation in vitro couronnée de succès. Hélas, l’échographie révèle une grossesse à risques. Ils ont une semaine pour décider de garder l’enfant ou pas. Que se passe-t-il alors dans la tête de ces parents ?
Après Amédée qui racontait, avec talent, l’histoire d’un accidenté tétraplégique incurable, Côme de Bellescize, lui qui témoigne d’un infini respect pour la fragilité de la vie, s’attaque encore au droit à mourir. Il ne craint pas les sujets qui dérangent. Sa compagnie, fondée en 2004, ne se nomme pas par hasard le Théâtre du Fracas. Et c’est tout à son honneur que de s’emparer de ces questions d’actualité peu courantes au théâtre : la stérilité, la procréation assistée, le handicap.
Placés dans des situations exceptionnelles, ses personnages sont doivent résoudre un terrible dilemme. Ce drame les met à l’épreuve. En proie à un choix crucial, ils sont confrontés à un cas de conscience qui les révèle à eux-mêmes. Puissant moteur dramatique ! Loin de toutes certitudes, l’auteur explore le doute et l’ambivalence. S’il dénonce certaines dérives de la société (ici, les marchands de clones, le phénomène de culpabilisation), il ne porte aucun jugement sur les protagonistes. Il représente juste leurs pulsions inconscientes face à la peur de la souffrance et de l’exclusion.
Pièce monstre
Des obsessions aux angoisses existentielles, du désamour aux retrouvailles, on suit donc ici le couple dans son cheminement et ses projections mentales. Pour traduire la perte de repères, Côme de Bellescize convoque tous les genres : farcesque, pour faire rire de sa vaine tentative de procréer ; épique pour aider à comprendre le parcours de combattant des gens recourant à la fécondation in vitro ; fantastique, pour représenter bébés fantomatiques et fantasmés ; tragique, pour nous émouvoir de ce drame. Les multiples rebondissements font même de la pièce un thriller.
Achevant de transformer en monstre cette pièce à la construction alambiquée, le metteur en scène opte pour le parti pris de l’excès. Nous sommes comme dans un cauchemar éveillé. Mère envahissante, médecin ambigu, flic menant une mystérieuse enquête, client maniaco-dépressif, les personnages sont caricaturaux. Y compris ce père vendeur de photocopieuses – dont certaines peu performantes en matière de reproduction – et cette « pondeuse » contrariée – fille de féministe.
Sans doute, Côme de Bellescize a-t-il abordé ce sujet tabou de manière biaisée pour déjouer les pièges du pathos et du didactisme. Il puise dans la dimension symbolique des contes, y exploite la violence de nos pulsions et peurs ancestrales, ainsi que la vitalité des fantasmes. Il recourt à des accessoires bien choisis, comme ces poupées Corolle déformées, a quelques bonnes idées de mise en scène. Toutefois, côté esthétique, on passe du réalisme cru à l’onirisme mal fagoté, sans guère de transitions. Côme de Bellescize « é-puise » son sujet par ces pieds de nez et ce ton décalé.
Peut-on renoncer à donner la vie ? Quel avenir pour un enfant considéré comme un « monstre » ? Quelle marge de liberté a-t-on dans une société aseptisée qui voue un culte à la performance ? Dommage de traiter ces questions éthiques par-dessus la jambe. Surtout, il est regrettable, pour un thème aussi sensible, de ressentir peu d’émotions. Il est vrai, vu les options de mise en scène, difficile pour les acteurs de faire dans la subtilité ! La plus convaincante, Éléonore Juncker, parvient à nous laisser entrevoir son ventre labouré, son âme chavirée, ces moments où tout bascule. Cela ne compense pas le manque de profondeur du spectacle.
On veut bien croire qu’il a été pénible d’accoucher de ce spectacle protéiforme, chaotique. Il peut plonger les spectateurs dans un gouffre où il est ardu de trouver la sortie. Mais c’est précisément en cela qu’Eugénie mérite malgré tout d’être vécu : c’est une expérience… comment dire ? vivifiante. ¶
Léna Martinelli
Eugénie, de Côme de Bellescize
Texte édité à L’Avant-scène théâtre, « Collection des quatre-vents »
Théâtre du Fracas
Contact : Vincent Joncquez
Tél. 06 62 83 81 45
Courriel : theatredufracas@gmail.com
Site : www.theatredufracas.com
Mise en scène : Côme de Bellescize
Avec : Philippe Bérodot (le Client, le Docteur, le Flic, l’Enquêteur), Jonathan Cohen (Sam), Éléonore Joncquez (Sarah), Estelle Meyer (X., Eugénie)
Assistanat à la mise en scène : Jane Piot
Scénographie : Sigolène de Chassy
Lumière : Thomas Costerg
Son : Lucas Lelièvre
Costumes : Colombe Lauriot Prévost
Musique originale : Yannick Paget
Photo : © Antoine Melchior et Giovanni Cittadini Cesi
Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin‑D.‑Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Site du théâtre : www.theatredurondpoint.fr
Du 13 novembre au 13 décembre 2015, tous les soirs (sauf le lundi) à 21 heures, dimanche à 15 h 30, relâche le lundi
Durée : 1 h 30
31 € | 28 € | 18 € | 16 € | 12 €
Dès 14 ans
Tournée :
- les 25 et 26 janvier 2016, Théâtre de l’Éphémère, au Mans (72)
- Les 29 et 30 janvier 2016, Théâtre Gérard-Philipe, à Champigny-sur-Marne (94)
- Le 13 février 2016, E.C.A.M., au Kremlin-Bicêtre (94)
- Le 16 février 2016, Théâtre Jean-Vilar, à Suresnes (92)