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FARSe, Festival des Arts de la Rue de Strasbourg

Vivants Fugaces Crédit M.Wiart

Héraults des rues

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Maintenir un festival d’arts de la rue durant l’été 2020 tient de la gageure et d’une ténacité héroïque. Pour cette 6édition du FARSe à Strasbourg, l’équipe de Lucile Rimbert donne judicieusement la parole à ceux qui, au quotidien, résistent humblement, tiennent la barre, poursuivent leurs rêves.

Les héros et héroïnes sont partout, parmi nous : il suffit de regarder ou de tendre l’oreille. Lucile Rimbert, directrice artistique de la compagnie lu2 qui orchestre pour la première fois le Festival des Arts de la Rue de Strasbourg, a subtilement saisi l’air du temps en proposant des spectacles qui interrogent et valorisent les « derniers de cordée, premiers de corvée ». Sa programmation se décline comme une invitation à magnifier notre humanité et à saluer les invisibles : « Donner la parole aux héro·ïne·s de la ville », « se tenir aux côtés de nos héros discrets », « défier la pesanteur du monde »…

Dans cette riche programmation, que choisir ? Nous vous conseillons Je m’appelle, âpre litanie de Garniouze Inc, sur un texte d’Enzo Cormann. Christophe Lafargue, hyperréaliste, parcourt les chemins de croix des prolétaires, incarne les corps fatigués des damnés de la terre, ouvriers, immigrés. Fracasse de douze opte plutôt pour le burlesque, Hop s’arrête sur la figure du ramasseur de poubelles et célèbre l’espace public comme lieu où faire humanité.

Vivants des Fugaces choisit de nous déplacer, de nous entraîner stricto sensu dans le quotidien de personnages qui nous ressemblent : mère accro au boulot, père divorcé ou musicien débutant qui tentent de se dépatouiller avec l’autre en travers de leur route, leurs désirs contraires, leur difficulté à oser. La scénographie mouvante du spectacle célèbre le croisement, le partage de points de vue, et notre capacité à bifurquer pour retrouver dans nos corps la joie d’être vivants.

D-construction-Dyptik
« D-construction », Dyptik

La fête, ensemble, en ligne de mire. D-Construction de la Compagnie de hip hop Dyptik aborde aussi l’élan que la masse et le collectif peuvent donner à l’individu : la révolte des peuples y passe par la création de nouveaux espaces et volumes. En dansant.

Vivants, vibrants

Le texte et la puissance du récit sont souvent mis à l’honneur en lien avec les possibles du corps. Ce qui m’est dû de la Débordante compagnie place dans la danse et la réorientation professionnelle une possible échappée aux injonctions sociales contradictoires. Héloïse Desfargues se fait l’écho de notre difficulté à vivre éthiquement, alors que l’anthropocène sape notre environnement et le vivant : « Mon monde est pourtant bien réel, mais il lui manque quelque chose de fondamental que je n’arrive pas encore à définir… J’ai du mal à m’ancrer. Mes appuis sont instables. » Dans ce duo dansé époustouflant, la justesse du geste et du mouvement nous redonne de la puissance.

Pour le plaisir des yeux et une traversée de l’histoire de la peinture, de notre besoin de figurer l’humain et le monde, on ne ratera sous aucun prétexte la magnifique Tortue de Gauguin de Lucamoros. Allongés au pied d’un échafaudage, on y découvrira une fresque en perpétuelle recomposition, voyage dans les couleurs, monde d’esquisses et d’apparitions où les plasticiens se révèlent en harmonie totale.

Debordante-ce-qui-m-est-dû @ Sileks
« Ce qui m’est dû », La Débordante © Sileks

À travers cette programmation, on aperçoit à quel point le théâtre de rue est le lieu de l’engagement, tant politique que concret. Il rend accessible et incarne – au sens fort du terme – au cœur même de la ville, les enjeux sociaux de notre temps : comment se rendre visible ? Comment participer ? Comment se révolter ? Que ce soit avec le très grinçant Francis sauve le monde (Compagnie Victor B), théâtre d’objet anti-nucléaire où le blaireau est le miroir de notre existence aliénante et écocide « boire-baiser-bouffer », ou avec AE-Les Années (Groupe ToNNe), déambulation discutant l’émancipation féminine, l’avortement, la consommation, on affronte nos lâchetés ou nos regains les yeux dans les yeux.

Alors que de grands débats politiques peinent à mobiliser concrètement notre attention et notre action, des formes scéniques nous proposent de revivifier la démocratie en réinventant l’agora, en entrant en résonnance avec les barons – ces comédiens qui se cachent parmi le public – et en valorisant les formes bi-frontales. L’artiste semble passer le relais au citoyen pour en faire le personnage ou l’acteur principal.

Avec le Parlement de rue du vaillant Théâtre de l’Unité, on peut même se découvrir législateur, expérimenter débats et vote en démocratie directe : « Rendez-vous le vendredi 7 à 11h, 14h, 17h à l’arrière de la cour du FARSe pour proposer en amont vos lois. Dans un rire sérieux. »

Et la Covid ? S’il a fallu annuler les spectacles à grande jauge ou quelques dates dans un contexte de tournées sinistrées, les écritures artistiques restent respectées. L’esprit de la rue et l’énergie sont intacts : s’adapter, ne pas imposer de cadre académique, reconnaître l’autre.

Le FARSe offre aussi une carte blanche à un média collaboratif SP3AK3R qui donnera la parole à celle et ceux qui font la ville. Il s’allie également à un véritable super-héros en collants et slip gilet jaune : super Arts de la Rue. Cette égérie iconique rencontrera de façon impromptue les habitants, s’immiscera dans les us et coutumes strasbourgeois, comme l’achat d’une peluche cigogne ou la fréquentation du marché, pour sauver le monde, selon les préceptes de Lucile Rimbert : « Vibrer, vivre avec ceux qu’on ne connaît pas forcément, faire confiance, continuer à créer des communs, à ressentir ensemble. » Masqués bien sûr. 
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Stéphanie Ruffier


FARSe •  5e lieu, 5 place du Château • 67 000 Strasbourg

Les 7, 8 et 9 août 2020

Programme téléchargeable en ligne sur le site du festival

Lieux des représentations : Place de la République, place du Château, Cours Rohan, Place Grimmeissen, Musée Historique, Square Louise Weiss, Place du Quartier Blanc, place Sainte-Madeleine, place Hans Arp, place Gutenberg à Strasbourg

Le lieu festif se situe Cour du FARSe rue des Veaux où les « futurs héros » ne sont pas oublié (programmation jeune public).

Spectacles en entrée libre, jauge limitée, sans réservations

Point d’information au 5e lieu, 5 place du Château : vendredi 7 et samedi 8 août de 11 heures à 19 heures, dimanche 9 août de 11 heures à 17 heures.

Téléphone : 03 88 23 84 65

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