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« Hamlet‐machine », de Heiner Müller, Théâtre du Point‐du‑Jour à Lyon

« Hamlet-machine », répétition © Pierre Grange

Müller‐Vincent, une histoire longue

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Depuis presque trente ans Philippe Vincent explore l’univers de Heiner Müller, il en gratte la surface, il en sonde les profondeurs… Cette version dont il cosigne la mise en scène avec David Mambouch est la quatrième. Guère plus explicite que les précédentes.

Il faut dire que Hamlet-machine n’a que de lointains rapports avec la pièce de Shakespeare : point de personnages définis ni de dialogues ; à peine une petite dizaine de pages pour une suite de monologues dont les porteurs ont une identité plus que confuse ; point de Danemark mais les ruines de l’Europe, et encore vues « de dos » ; et l’essentielle question To be or not to be remplacée (pour ce que déclarent les exégètes) par une mise en cause de l’intellectuel dans les pays socialistes… Mais la version qu’en donnent David Mambouch et Philippe Vincent n’est guère plus éclairante malgré l’heure et demie passée à développer la dizaine de pages. Elle renvoie en revanche à notre actualité plus immédiate, notamment dans toute la première partie, longue, très longue, qui n’est pas sans rappeler Sangatte et la jungle de Calais.

Il fait sombre, on n’y voit goutte sur le plateau tandis que la bande-son concoctée par Thorolf Thuestad et Alwynne Pritchard nous place sous le vent qui hurle, illustré par quelques sacs en plastique poussés par les bourrasques. Personne ou presque, il fait nuit, il fait froid, quelques caisses de bois ici et là et parfois une ombre qui se cache ou passe en courant, recroquevillée sur elle-même. L’ensemble est très évocateur et, reconnaissons-le, esthétiquement réussi. Mais franchement long !

Dans la seconde partie, nous verrons les cinq comédiens (on ne peut guère parler de personnages) courir en tous sens pour construire avec tout ce qui leur tombe sous la main – bouts de bois, barrières en fer, cantines métalliques, escabeaux, cordes, landau, poulies – ce qui semble être un mur avec quelques inscriptions, « l’Europe de la femme », par exemple… Pourquoi la femme ? Il est vrai qu’il s’agit ici d’Ophélie et de Gertrude qui en viennent aux mains en tailleur très seyant et talons aiguilles… Il est vrai aussi que nous assisterons à l’accouchement d’un monstre tout de rouge vêtu, sorti des profondeurs : très belle scène. Quant au Pierrot dansant à l’identité sexuelle incertaine, tel un lutin des contes allemands, il traverse le plateau avec une grâce de ballerine, ajoutant une touche légère dans ce macabre décor. Profitons de ce détour pour rendre hommage aux très beaux costumes signés Cathy Ray.

Hamlet à travers les époques

Dans la seconde partie, nous retrouvons cet édifice de bois et de fer, hanté d’êtres dont s’échappent des discours fort sibyllins, en français, en norvégien ou en allemand mêlés. La construction s’éternise : le facteur temps semble une donnée essentielle de la représentation, jusqu’à envahir le plateau. Mur de la honte, réplique d’autres murs tout aussi coupables ? Sans doute. Mur qu’on escalade, dans les fentes duquel on s’infiltre, comme si tous les murs du monde n’étaient finalement faits que pour être franchis. Belle image…

Un mot sur l’acteur Philippe Vincent. Il est celui qui parle, à la fois Hamlet et Heiner Müller. En costume de soldat ou vêtu d’une magnifique peau d’ours, il imprègne le spectacle de sa présence, il l’habite. Tout comme il est habité lui-même par ce texte depuis si longtemps. La part qu’a prise David Mambouch dans ce travail reste énigmatique. 

Trina Mounier


Hamlet-machine, de Heiner Müller

France / Norvège

Traduction : Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger

Mise en scène : David Mambouch et Philippe Vincent

Avec : Philippe Vincent, Anne Ferret, Alwynne Pritchard (Norvège), Thorolf Thuestad (Norvège), Camille Roy

Assistante à la mise en scène : Mayalen Otondo

Création sonore et musicale : Thorolf Thuestad et Alwynne Pritchard (Norvège)

Scénographie : Benjamin Lebreton

Lumière : Stéphane Rouaud

Costumes : Cathy Ray

Régie : Hubert Arnaud

Photo : © Pierre Grange

Production : Scènes Théâtre Cinéma • 5, montée Saint-Barthélemy • 69005 Lyon

www.scenestheatrecinema.com

Coproduction : Company Neither Nor (Bergen / Norvège) ; Théâtre du Point‑du‑Jour

Avec le soutien de l’École de la Comédie de Saint-Étienne ; DIESE # Rhône-Alpes

Philippe Vincent fait son Théâtre Permanent et propose Étranges étrangers avec une création, trois spectacles et des artistes invités.

Théâtre du Point du Jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon

04 72 38 72 50

www.lepointdujour.fr

Du 21 janvier au 6 février 2016 à 20 heures, relâche dimanche et lundi

Durée : 1 h 30

Tarif : 5 € sans réservation

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