Rechercher

« Juliette + Roméo = A.E.S.D. », de Scopitone et compagnie, Théâtre Nouvelle Génération à Lyon

Juliette + Roméo = A.E.S.D. © Joël Glock

Barbie et Ken à Vérone

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Voici encore [après « (Super) Hamlet »] un Shakespeare passé à la Moulinette de la polyvalence des formes, de la réduction de texte et de l’insolence. Le tout pour le jeune public. Quoique…

Dès le programme, c’est l’inversion du titre qui à la fois nous indique de quoi il retourne et attire bizarrement notre attention. Ainsi que l’énigmatique A.E.S.D. dont nous trouverons la signification sur le site (pas des plus commodes pour le jeune spectateur qui n’a pas forcément d’ordinateur sous le coude) : Amour éternel sans divorce. Avatar contemporain de « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Nous sommes prévenus, le spectacle sera centré sur les amants de Vérone, leur amour T.G.V. et leur fin tragique.

Sur un plateau occupé d’une longue table de banquet recouverte d’une nappe blanche trône un tourne-disque. Celui-ci nous fera entendre durant tout le spectacle des microsillons avec grésillements d’époque transmettant diverses musiques évoquant aussi bien les mariages princiers que les soirées yé-yé ou encore les mélodies sentimentales devenues universelles. Entre en scène une femme en tenue de soirée, une flûte de champagne à la main. Telle la reine d’Angleterre, elle salue le public, le gratifie de baisers lointains… et parle anglais ! Shakespeare oblige. Puis, voilà Roméo, plus conforme à l’adolescent français à l’élégance douteuse et aux muscles représentatifs quoiqu’un peu enrobés, plutôt brut de décoffrage.

Pendant une longue scène que nous appellerons d’exposition, nous assisterons interloqués à des essais infructueux de baisers (la table est trop longue) et surtout à une succession de suicides que la suite nous situera à Vérone, par poupées interposées. Nous ne sommes certes pas au xvie siècle, et c’est avec le couteau à pain qu’on met fin à ses jours…

Le ton est donné. Le coup de foudre est chose extraordinaire qui réunit des êtres si dissemblables que tout cela ne peut que fort mal finir. Entrent en scène les marionnettes, poupées de plastique genre Barbie qui vont mimer les rêves qui complètent ces dissemblances : lui parle français, rêve de bolides rouges ; elle de carrosse rose. Et tandis que son dromadaire à lui annonce le goût des grands espaces, elle, délicieusement anglaise et raffinée, peigne la chevelure de son joli poney. Évidemment, il a encore des airs d’ado mal dégrossi tandis qu’on sent déjà chez elle la ménagère tatillonne. Moments désopilants… entrecoupés de passages éminemment poétiques (le rossignol et l’alouette…), coups de chapeau à Shakespeare dans le texte, à tout seigneur tout honneur. Et même çà et là, quelques instants graves et émouvants.

Humoristique mise en abyme

Si Roméo et Juliette est réduit à une comédie sentimentale qui finit mal – ce qui serait un peu léger si l’on s’en tenait là – et si le ressort principal du spectacle est le comique en tout genre (notamment grâce au talent de clown de Cédric Hingouët et à celui d’Emma Lloyd qui semble le Laurel de son Hardy, tant ils jouent tous les deux sur les contrastes), la conception de ce Juliette + Roméo est diaboliquement intelligente et efficace. Bien malin qui pourrait dire, par exemple, le rôle des comédiens-manipulateurs. Plutôt comédiens, plutôt conteurs ou plutôt manipulateurs ? Qui sont Roméo et Juliette ? les poupées ou les êtres en chair et en os ?

Juliette + Roméo est construit en abyme, l’un explique et complète l’autre, et la dextérité dont ils font preuve dans le passage de l’un à l’autre a quelque chose de vertigineux. Ajoutons une petite pincée de grand-guignol (nous sommes à Lyon, quand même, au pays des Zonzons) avec jeu très extraverti et complicité permanente avec le public, quelques clins d’œil à la prestidigitation (la scène du tombeau, il faut bien le reconnaître, s’y prête tout à fait) et nous sommes devant une petite heure d’humour british mâtiné de franche rigolade. Shakespeare passe à la trappe, mais qu’importe ! Ne boudons pas notre plaisir. 

Trina Mounier


Juliette + Roméo = A.E.S.D.

Scopitone et Cie

www.scopitoneetcompagnie.com

Mise en scène, comédiens marionnettistes : Emma Lloyd, Cédric Hingouët

Cometteurs en scène : Agnès Limbos et Serge Boulier

Chorégraphie : Denis Céfelman

Création lumières : Sylvain Crozet

Scénographie : Emmanuelle Morel, Dimitri Méruzt

Photo : © Joël Glock

T.N.G. • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon

Lundi 28 avril 2014 à 19 heures

Durée : 50 min

Dans le cadre du festival Moisson d’avril

www.moissondavril.com

Du 22 au 30 avril 2014

Le 1er spectacle : 8 €, les suivants 5 €

Tournée :

  • Le 14 mai 2014 : festival Vagabondages à Servon-sur-Vilaine (35)
  • Le 28 mai 2014 : salle Le Ponant à Pacé (35)

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant