« le Moche », de Marius von Mayenburg, Théâtre de l’Atalante à Paris

« le Moche » © Cie De facto

Un scalpel et de grosses ficelles

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Une énième caricature de la chirurgie esthétique qui ne renouvelle guère le débat, malgré une interprétation remarquable par la Cie De facto.

Marius von Mayenburg est l’un des dramaturges allemands les plus encensés de notre époque. Il est drôle, écrit bien et n’a pas son pareil pour appuyer là où ça fait mal, dans ce grand corps social consumériste, hédoniste et déboussolé qu’est le nôtre. Après l’hystérie parentale, les démons de la réunification allemande, le marketing de la violence, les névroses du couple, c’est le thème de l’obsession de la beauté physique qu’il explore dans cette pièce 1.

L’ingénieur Lette a inventé un produit révolutionnaire et se réjouit à l’idée d’aller le présenter en congrès. Or c’est son assistant qui est finalement choisi par le patron pour accomplir cette mission, au seul motif que Lette est insupportablement moche. Cette banale mesquinerie, telle qu’il en existe tous les jours dans n’importe quel univers professionnel, est à l’origine d’un cataclysme personnel, familial, voire environnemental et cosmique, qui dépasse de très loin son point de départ. En effet, la vie de l’employé modèle, entièrement refait par un chirurgien mi‑démiurge mi‑escroc, bascule du rêve vers le cauchemar.

C’est une compagnie suisse, sous la houlette de Nathalie Sandoz qui s’est emparée de cette comédie grinçante et vient l’offrir au public parisien. Le jeu des quatre comédiens, interprétant huit personnages différents, est impeccable de sobriété aussi bien vocale que gestuelle. La note ne peut pas être si uniformément juste sans une direction d’acteurs rigoureuse et pertinente, ce qui ne retire rien du talent manifeste de Nathalie Jeannet, de Gilles et Raphaël Tschudi et, dans le rôle de Lette, de Guillaume Marquet (qui reçut le molière du Jeune Talent masculin en 2011). Pourtant l’intrigue s’essouffle assez rapidement, et ce n’est pas faute d’une grande générosité dans les moyens mis en œuvre pour la pousser au maximum de ses possibilités.

« La fidélité conjugale est une question d’offre »

Elle est jolie, cette formule, et tant d’autres aussi, sous la plume de Mayenburg. L’auteur ne manque pas d’esprit quand il décrit le rapport à la beauté d’un homme, d’une femme, d’un couple, d’une hiérarchie patron-employés, de toute une société. Mais ce qui pèche ici, c’est la réflexion, qui reste à la surface du sujet, faute peut-être d’une enquête préalable suffisamment sérieuse. Réfugié d’abord dans la caricature, l’écrivain s’enfuit ensuite dans l’onirique et le fantastique, ce qui est parfois une manière commode d’éluder le problème qu’on veut aborder au lieu de le sonder en profondeur. Le spectateur, lui, bâille.

La chirurgie esthétique est traitée de façon univoque par les dramaturges, les romanciers, les cinéastes, à la seule exception sans doute de Pedro Almodovar 2. Les deux clichés usuels sont d’une part celui du chirurgien mégalomane, cupide et incompétent, d’autre part celui du patient insatiable, enchaînant opération sur opération en quête d’une impossible perfection, et finalement défiguré et déprimé. Avec ce second lieu commun, les commentateurs peu renseignés prennent pour une généralité ce qui correspond au cas très particulier des personnes atteintes de dysmorphophobie ou perception maladivement négative de son propre corps.

Le héros de Mayenburg n’est pas un dysmorphophobe, mais un homme né avec une disgrâce physique précise et évidente pour tout son entourage (Cyrano en somme). Il bénéficie d’une intervention qu’on peut qualifier de réussie. Dans la vie réelle, interrogez n’importe quelle personne correspondant à ce descriptif et vous verrez qu’elle est juste heureuse, ne se transforme pas, d’un seul coup, en psychopathe, et ne réclame certainement pas qu’on lui rende son visage d’origine. Or l’auteur choisit de faire devenir fou son personnage, suite à son opération. Il y a donc une invraisemblance psychologique qui fausse tout le raisonnement. On attendait d’un dramaturge intelligent qu’il évite, sur un sujet donné, de crier dans le même sens que la meute de ses collègues. Cyrano, opéré, aurait peut‑être coulé des jours heureux avec Roxane. Mais Rostand n’aurait pas produit son chef-d’œuvre. Ah, ces écrivains ! Cette tendance à faire des phrases au lieu de chercher le bonheur des gens ! 

Élisabeth Hennebert

  1. Marius von Mayenburg, le Moche / le Chien, la Nuit et le Couteau, traduits de l’allemand par Hélène Mauler et René Zahnd, l’Arche, 2008. La pièce a déjà été présentée à Paris en 2011, au Théâtre du Rond-Point, dans une mise en scène de Jacques Osinski.
  2. Le personnage d’Agrado, ancienne prostituée transsexuelle fait, dans Tout sur ma mère (1999), l’un des seuls éloges, à ma connaissance, de la chirurgie esthétique, sur le mode libertaire, façon « Mon corps m’appartient ». Ce qui n’empêche pas Almodovar d’explorer dans la Piel que Habito (2011) les dérives possibles d’une spécialité chirurgicale aux contours ambigus.

le Moche, de Marius von Mayenburg

Cie De facto

Mise en scène : Nathalie Sandoz

Avec : Nathalie Jeannet, Guillaume Marquet, Gilles Tschudi et Raphaël Tschudi

Scénographie : Neda Loncarevic

Lumière : Philippe Maeder

Univers sonore : Cédric Liardet

Vidéo : Nicolas Meyer

Costumes : Diane Grosset

Maquillages : Nathalie Mouschino

L’Atalante • 10, place Charles‑Dullin • 75018 Paris

Réservations : 01 46 06 11 90

Site du théâtre : http://www.theatre-latalante.com

Métro : ligne 9, station Anvers

Jusqu’au 29 janvier 2017, les lundi, mercredi et vendredi à 20 h 30, les jeudi et samedi à 19 heures et les dimanches à 17 heures, relâche les mardis

Durée : 1 h 15

15 €, 12 €, 10 €, 8 €

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