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« Manon des sources » et « Jean de Florette », d’après « l’Eau des collines », de Marcel Pagnol, les Nuits de Fourvière

« Manon » et « Jean de Florette » © Raymond Mallentjer

Retour aux sources

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Des Belges, flamands de surcroît, qui s’attaquent à Pagnol ? Pour osé qu’il soit, le pari est réussi et sur la colline de Fourvière, on s’est cru en pleine garrigue le temps d’une soirée, on entendait presque les cigales !

Quelques mots de cette compagnie, Marius de son nom, qui s’est donné pour caractéristique principale de jouer exclusivement en plein air et dont le répertoire, qui puise volontiers dans la littérature classique, a beaucoup emprunté à l’auteur provençal, sa fameuse trilogie marseillaise au premier chef. Avec ce diptyque romanesque dont l’intrigue tourne autour du contrôle de l’eau, denrée précieuse par qui, pour qui, le crime arrive, la nature est tout particulièrement un personnage à part entière.

Le roman court sur deux générations et raconte l’histoire d’une mise à mort, puis celle d’une vengeance. Ce faisant, elle met au jour les moteurs puissants de nos actes tout en brossant le portrait d’une France rurale disparue.

Le Papet, et son unique héritier, Hugolin, le premier pour doter son neveu et lui permettre de faire descendance, le second par appât du gain, tentent par tous les moyens de récupérer une source capable d’apporter la prospérité. Ils espèrent garder leur conscience en paix, car ils ne sont guère courageux. Finalement, ils y parviendront très longtemps grâce à une multitude de petits arrangements avec la morale. Ne pouvant acquérir la source, ils se mettent en tête de l’assécher, espérant ainsi provoquer le départ de Jean de Florette, l’héritier venu de la ville. Mais ce dernier est aussi loufoque qu’entêté, et il finira par mourir en tentant d’extraire de l’eau du sol au moyen de bâtons de dynamite. La seconde partie met en scène le retour de la fille de Jean de Florette, Manon, bien décidée à venger son père… Ce que montre cette saga des collines, c’est non seulement la rudesse des personnages, les manigances, les égoïsmes à l’œuvre, mais aussi la complicité active de tout un village qui cultive avec délectation l’espionnage du voisin et se mure dans l’omerta : pas question d’aider qui n’est pas du village.

Des Belges déjantés

Tout ou presque se passe donc en extérieur, on cherche, on cache, on se cache, on écoute. Puisque l’extérieur est la marque de fabrique de cette compagnie, quelques mots du décor. À jardin, le jardin, justement : quelques gros pots plantés d’arbustes simulent ces forêts d’oliviers qui peuplent la campagne provençale. Au lointain, le lointain, la vue superbe que l’on a sur Lyon de la colline de Fourvière. Ce pourrait être la mer, ou la garrigue à perte de vue. Au centre du plateau, le sable nécessaire aux places des villages méditerranéens et à leurs pétanques quotidiennes. Et l’amphithéâtre avec son imposant lot de rocailles. Quelques éléments de décor à peine ébauchés pour la mécanique du jeu, pour celle aussi de l’imagination. Ainsi, une double porte en bois qui ouvre sur nulle part, clin d’œil à Magritte, deviendra l’antichambre de chaque maison de l’histoire.

Car le plus important, malgré tout, réside dans les comédiens, confondants de justesse et de naturel. Si ces Flamands parlent français avec l’accent belge, ce dernier remplace sans même qu’on y prenne garde l’accent de Raimu. Ils font entendre comme des natifs la truculence de cette langue oubliée. Et quels acteurs ! Il est vrai qu’ils maîtrisent à la perfection le répertoire Pagnol sur lequel ils travaillent depuis plus de vingt ans. Leur jeu subtil fait entrevoir toutes les facettes des personnages, ruse, avidité, entêtement, crainte superstitieuse, lâcheté, fausse naïveté, calculs divers… Leur capacité à utiliser tous les ressorts de la comédie et même de la farce (grimaces, quiproquos, rebondissements, répétitions, lexique légèrement décalé, chutes, inventions de machines improbables, exagérations en tout genre) et de les enchaîner à toute allure fait qu’on suit ce diptyque comme un film ou un livre d’images (certaines scènes d’ailleurs semblent tout droit sorties d’une bande dessinée).

Il faut enfin souligner la générosité de cette troupe qui non seulement s’engage complètement dans le jeu, mais offre à son public un vrai repas à l’entracte, puis l’apéro à la fin du spectacle (au pastis bien sûr !). Cette proximité entre acteurs et spectateurs a fini de conquérir ces derniers, déjà fort ravis de retrouver la fraîcheur et l’émotion de ces romans dont la simplicité apparente ne doit pas faire oublier la richesse. 

Trina Mounier


Manon des sources et Jean de Florette, d’après l’Eau des collines, de Marcel Pagnol

Cie Marius, fabricants de théâtre depuis 1991, spécialisés en représentations en plein air • p/a Middelheimmuseum • Middelheimlaan 61 • 2020 Antwerpen • Belgique

+32 3 827 87 81

www.marius.be

Traduction et adaptation : Waas Gramser et Kris Van Trier

Traduction française : Monique Nagielkopf

Avec : Koen Von Impe, Kris Van Trier, Mathijs Scheepers, Maaike Neuville, Frank Dierens, Waas Gramser

Costumes : Thijsje Strypens

Réalisation du décor : Koen Schetske

Technique : Stevie Van Haver et Vincent Franken

Cuisine : Koen Roggen

Photos : © Raymond Mallentjer

Production et administration : Jeroen Deceuninck, Éveline Martens et Sofie De Schutter

Production : Cie Marius & Zomer Van Antwerpen 2006

Subventions de la Communauté flamande

Les Nuits de Fourvière • 1, rue Cléberg • 69005 Lyon

04 72 57 15 40

Réservations : 04 72 32 00 00

www.nuitsdefourviere.com

Les 7 et 8 juin 2014 à 20 heures

Durée : Manon des sources, 1 h 40 ; Jean de Florette, 1 h 40

Repas froid servi à l’entracte

38 € | 33 €

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