« Monkey Money », de Carole Thibaut, l’Idéal à Tourcoing

Monkey Money © Simon Gosselin

La traversée de la haine

Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups

La metteuse en scène et auteur Carole Thibaut fait depuis des années acte d’engagement à travers la scène, notamment autour des combats féministes et du « matrimoine ». Artiste associée au Théâtre du Nord, elle propose avec « Monkey Money » un conte grinçant qui questionne le pouvoir de l’argent.

Carole Thibaut a fait le choix de la fable, l’une des seules dramaturgies assez puissantes pour dépasser le réalisme et transformer les parcours de personnages ordinaires, prototypiques, en héros de roman. Inspirée autant par sa lecture des Misérables que par de longues observations des conditions de travail en centre d’appels, la pièce met en scène l’éternelle tragédie des rapports de pouvoir et de domination capitaliste à travers le destin de deux familles que tout oppose. Frontière a priori infranchissable dont témoigne l’existence d’un mur, non matérialisé mais présent dans tous les esprits, qui sépare les nantis des laissés-pour-compte.

D’un côté comme de l’autre, ce monde manque de chaleur. Mais, comme le mur, les certitudes des puissants se fissurent, sans encore céder sous le poids de la haine, de la jalousie et de la frustration des dominés… Entre ces deux positions explorées jusqu’à la caricature, sans doute pour en démonter l’absurdité – le discours libéral jusqu’à la farce du jeune banquier, le dîner de famille ambiance Thénardier dans la cité voisine –, la rencontre va pourtant advenir. Le pont qui permet la traversée, c’est la question de la responsabilité, qui transcende les positions de principe.

Un organisme de crédit surpuissant, à la gestion paternaliste, se renforce et oublie ses doutes en fêtant ses trente ans d’existence. On y feint d’ignorer, noyé dans le champagne, que les liens familiaux, la filiation, l’affection y sont clairement inféodés aux jeux de pouvoir. Le talentueux duo incarné par Thierry Bosc et Élisabeth Mazev y interprète une partition père-fille tristement réjouissante, entre amour et haine, transmission et rejet. Déjà factice, la liesse devient carrément grinçante lorsqu’un père de famille, endetté jusqu’au cou par cet organisme de crédit, surgit d’au-delà du mur et exige d’être entendu, menaçant de s’immoler par le feu…

C’est donc une histoire de contrition et de repentir, où K. et Léa, fille du supplicié, reprennent les rôles de Jean Valjean et de Cosette. La première accepte de traverser le mur, pour y rencontrer la seconde. Dans le luxe comme dans la misère, l’humanité souffre d’une solitude identique : la lumière plombée, le bourdonnement angoissant sont pareils et envahissent le monde des riches comme celui des pauvres. Filant la métaphore, les acteurs jouent le même rôle dans chacune des deux familles, rassemblant les côtés pile et face d’une même pièce, leur ambiguïté étant donc totale pour le spectateur. Seules K. et Léa y échappent pour se créer une identité propre.

Personnage complexe, K. va ressortir transformée de sa traversée du mur, comme d’un bain initiatique. Les moments les plus forts du spectacle sont ceux où se construit l’union fragile et improbable qu’elle forme avec Léa, boule d’énergie et de colère inutilisées. Le spectacle s’aventure alors dans un territoire moins balisé, sur les traces de celles qui sacrifient la supposée tranquillité du statu quo pour oser aller là où elles se reconnaissent, abandonnant ce qui les étrangle et les empêche de s’exprimer, inventant les réelles conditions de la rencontre. Ensemble, tandis que loin derrière elles le vieux monde s’effondre, elles se rassurent et se renforcent en traversant le marécage obscur du plateau, vers un avenir qu’elles sont les seules à pouvoir se créer. L’espace s’ouvre, les masques tombent et les murs aussi. La lumière qui envahit alors cet espace ressemble à celle de l’aube. Au cœur du chaos, il existerait donc une possibilité de se rassembler autour d’espoirs communs… 

Sarah Elghazi


Monkey Money, de Carole Thibaut

Le texte est édité chez Lansman

Mise en scène : Carole Thibaut

Avec : Thierry Bosc, Charlotte Fermand, Michel Fouquet, Élisabeth Mazev, Arnaud Vrech

Scénographie, création lumière et vidéo : Antoine Franchet

Création son et régie générale : Margaux Robin

Costumes : Magalie Pichard

Chorégraphie : Philippe Ménard

Composition musicale : Jonas Atlan

Assistants à la mise en scène : Noémie Regnaut et Victor Guillemot

Régie lumière : Rémy Raës

Régie son : Christophe Delfosse

Régie vidéo : Maxime Midière

Régie plateau : Jean-Daniel Coussement, Grégory Verbeek

Habillage : Dany Cornillié

Photo : © Simon Gosselin

Administration : Clémence Delignat

Communication : Marie Pichon

Diffusion : Claire Dupont

Stagiaire de production : Esther Krier

Production : Cie Sambre

Coproduction : Théâtre du Nord, C.D.N. de Lille-Tourcoing

Théâtre du Nord, salle de l’Idéal à Tourcoing • 19, rue des Champs • 59200 Tourcoing

Réservations : au 03 20 14 24 24, du mardi au samedi de 12 h 30 à 19 heures et sur www.theatredunord.fr

Création, du 12 au 22 novembre 2015, tous les jours à 20 h 30 et le dimanche à 16 heures

Durée : 1 h 45

27 € | 21 € | 10 € | 7 €

En tournée pendant la saison 2015-2016 :

  • Le 27 novembre 2015 / espace Sarah-Bernhardt à Goussainville
  • Les 4 et 5 décembre 2015 / Théâtre 95, Cergy-Pontoise
  • 2 février 2016 / Le Carreau, scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan
  • 1er et 2 mars 2016 / L’Hexagone, scène nationale de Meylan
  • 11 mars 2016 / Le Théâtre, scène nationale de Mâcon
  • Du 15 au 25 mars 2016 / Les Célestins, Théâtre de Lyon
  • À la rentrée 2016 / C.D.N. de Montluçon

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