La voix de la survie
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Marc Lainé transpose la nouvelle de Jack London, « Construire un feu », en mobilisant ses multiples talents de plasticien, scénographe, réalisateur et metteur en scène. Le dispositif scénique, qui fait la part belle à la projection vidéo, semble presque superflu face à l’écrasante présence des deux conteurs : Pierre Louis-Calixte et Alexandre Pavloff.
Un homme marche dans l’immensité neigeuse du Grand Nord canadien. Trappeur ? Chercheur d’or ? L’histoire ne le dit pas. Emmitouflé dans son orgueil, l’homme en oublie le conseil des Anciens : « Au-delà de cinquante degrés sous zéro on ne doit pas voyager seul ». Un chien lui sert tout de même de compagnon de route, spectateur d’un combat dérisoire contre la nature.
Comment représenter les étendues neigeuses sur un plateau aussi réduit que celui de Studio-Théâtre de la Comédie-Française ? Fidèle à son attrait pour les nouveaux dispositifs scéniques, Marc Lainé met en place un système de tournage en direct. Il sollicite l’imaginaire des spectateurs en jouant sur les échelles. Trois caméras, des maquettes et des toiles peintes représentent des paysages du Grand Nord. Elles sont filmées en direct et projetées sur un écran suspendu au-dessus de la scène. Ce « bricolage » produit une distorsion presque comique entre l’image projetée, où l’illusion bat son plein, et la dimension artisanale du dispositif sur le plateau.
Muselé par l’intensité du froid, Nâzim Boudjenah qui interprète l’homme ne prend pas la parole. Un autre comédien présent sur scène, Pierre Louis-Calixte, filme la situation tandis qu’Alexandre Pavloff partage avec nous le monologue intérieur du chien. L’alternance des points de vue recoupe l’opposition entre la lucidité de l’animal face aux forces de la nature et l’inconscience de l’homme qui pense pouvoir les affronter.
Les conteurs du froid
Malgré son ingéniosité, le procédé de montage s’essouffle au cours de la pièce et la présence de Nâzim Boudjenah se fait de plus en plus illustrative. Les deux conteurs maintiennent toutefois notre attention. Les mots de Jack London nous parviennent parfaitement. Le texte très factuel, presque documentaire, passe sous silence les affects de l’homme pour s’attarder sur ses sensations. Les sens des spectateurs sont d’ailleurs sollicités à plusieurs reprises, que ce soit avec l’odeur enveloppante du bois brûlé ou la musique métallique qui accompagne les voix.
Pierre Louis-Calixte, la voix principale de la narration, adopte une certaine neutralité dans sa posture, tel un reflet de la Nature impassible face à cet homme vulnérable au froid. Une gestuelle presque chorégraphique ponctue le récit du comédien. Elle le nimbe de mystère, comme si la Nature s’adressait à nous par ce langage suffisamment abstrait pour être universel.
Contrepoint comique et acerbe au point de vue de l’homme, la personnalisation du chien par Alexandre Pavloff est une des réussites de la pièce. Le comédien adopte une démarche et une diction chantante comme un air de blues, elles lui donnent une allure captivante. L’auteur niche la clé du récit dans ce personnage détenteur d’un savoir ancestral qui fait défaut à l’homme : « le chien savait, toute son ascendance savait qu’il ne faisait pas bon être dehors par un froid si terrible ». Le manuel de survie délivré par Jack London n’est rien de moins qu’une leçon d’humilité. ¶
Bénédicte Fantin
Construire un feu, de Jack London
Version scénique, mise en scène, scénographie et costumes : Marc Lainé
Avec : Alexandre Pavloff, Pierre Louis-Calixte, Nâzim Boudjenah
Traduction : Christine Le Boeuf
Lumière : Kévin Briard
Vidéo : Baptiste Klein
Son : Morgan Conan-Guez
Collaboration à la scénographie : Stephan Zimmerli
Durée : 1 heure
Photo © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française
Studio-Théâtre de la Comédie-Française • Galerie du Carrousel du Louvre, place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli • 75001 Paris
Du 15 septembre au 21 octobre 2018, du mercredi au dimanche à 18 h 30
De 9 € à 25 €
Réservations : 01 44 58 15 15
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Vanishing Point, de Marc Lainé, par Trina Mounier
☛ l’Appel de la forêt, d’après Jack London, de Quentin Dubois, par Trina Mounier