« Mort d’un commis voyageur », d’Arthur Miller, les Célestins à Lyon

Mort d’un commis voyageur © Christian Ganet

Sorti de route

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Immortalisée par le film de Volker Schlöndorff avec Dustin Hoffmann et consacrée par le prix Pulitzer, la pièce que Claudia Stavisky a choisi de porter à la scène pour ouvrir la saison des Célestins, « Mort d’un commis voyageur », est incontestablement un monument de la littérature américaine. Arthur Miller y raconte les cruelles désillusions d’un brave petit soldat de l’« american way of life » et sa descente aux enfers…

Willy Loman est un voyageur de commerce dont les ambitions mesurées peuvent lui laisser croire qu’il a réussi sa vie. Il est marié, père de deux enfants, propriétaire de sa demeure. Mais il s’est bercé d’illusions et n’a vu arriver ni l’âge ni les mutations de la société. Celle qui remplace sans prévenir la reconnaissance du travail bien fait par une comptabilité brutale et sans états d’âme. Celle qui rémunère l’audace et le risque, écrase les faibles pour mieux s’en débarrasser.

Willy Loman est donc doublement victime. D’une part, d’un monde cruel qui ne veut plus de lui – il va se voir retirer son « fixe », diminuer ses primes, supprimer sa voiture, puis, d’humiliation en humiliation, se voir fermer la porte des bureaux autrefois grande ouverte, devoir quémander sans succès une entrevue toujours écourtée à un cadre de l’âge de son fils… D’autre part, victime de son aveuglement : persuadé qu’il suffisait de trimer toute sa vie pour être un bon père, il n’a pas vu grandir ses fils, il ne les a pas vus devenir de jeunes adultes sans horizon, immatures, parasites, ratés. Un banal accident de la route va le révéler à lui‑même et aux autres, et précipiter sa chute.

Dans cette pièce un rien dogmatique et pédagogique (mais pouvait‑il faire autrement alors que l’Amérique marchait d’un seul pas derrière son rêve ?), Arthur Miller remet en cause tous les schémas de la réussite : d’une économie, d’un peuple, d’une famille, d’un individu. Il démonte pour les accuser les engrenages d’une société du fric, mais son discours est loin d’être simpliste. Willy, sa femme, ses fils ont aussi leur part de responsabilité : chacun ment à soi‑même et aux autres dans le huis clos de la famille pour édulcorer la vérité, la rendre supportable, ne pas avoir à prendre les décisions difficiles qu’entraînerait fatalement plus de clairvoyance et de lucidité. De là, ces scènes hallucinantes et hallucinées où chacun tend à l’autre un miroir aux alouettes, scènes de fausse joie, dialogues biaisés, d’autant plus émouvants que coule un véritable amour entre les personnages, à jamais inutilisable et pollué.

François Marthouret

Claudia Stavisky a réuni une belle distribution : François Marthouret dans le rôle de Willy domine toute la pièce de son énergie et de sa présence, compose avec subtilité un personnage dans lequel la fêlure est au travail, un homme aux multiples facettes qui met tout en œuvre pour échapper à une vérité qu’il refuse, qui le blesse, qui le tue ; Hélène Alexandridis en mère Courage attachée à recoudre les mensonges du père face aux fils, ceux du fils face au père, à faire tenir ensemble les derniers fondements de la famille, tout en nuances. Même si toute la distribution n’est pas de ce jus‑là, l’ensemble est cohérent et efficace.

Reste le problème de la scénographie, pas vraiment adaptée à cette pièce qui opère sur le rétrécissement jusqu’à la disparition d’un univers, sur les conflits qui éclatent dans un huis clos où règne le non‑dit. Or, le plateau des Célestins est immense. Sa hauteur jusqu’aux cintres, notamment, est proprement vertigineuse. Cela aurait pu s’avérer utile pour toutes les scènes oniriques, mais seul François Marthouret porte cette extrapolation de son monde intérieur… De même aurait‑il été sans doute pertinent et surtout efficace de ramener le cadre de scène à des proportions plus réduites qui ne diluent pas le drame, afin de pouvoir observer comme à la loupe cette chronique d’une mort annoncée et redéployer ainsi la puissance et l’inexorabilité de ce désastre. 

Trina Mounier


Mort d’un commis voyageur, d’Arthur Miller

Mise en scène : Claudia Stavisky

Avec : François Marthouret, Hélène Alexandridis, Jean‑Claude Duran, Alexandre Zambeaux, Sava Lolov, Matthieu Sampeur, Valérie Marinese, Mickaël Pinelli, Judith Rutkowski, Mathieu Gerin

Assistant à la mise en scène : Mathieu Gerin

Scénographe : Alexandre de Dardel

Assistant scénographe : Fanny Laplane

Construction décor : Espace et Cie

Créateur lumière : Franck Thévenon

Musique : Jean‑Marie Sénia

Créateur son : Sylvestre Mercier

Créateur costumes : Agostino Cavalca

Assistant de création de costumes : Bruno Torres

Créateur maquillages : Mano Salomon

Créateur coiffures : Alexandre Laforêt

Photo : © Christian Ganet

Les Célestins, théâtre de Lyon • 4, rue Charles‑Dullin • 69002 Lyon

www.celestins-lyon.org

Réservations : 04 72 77 40 00

Du 5 octobre au 31 octobre 2012

Durée : 2 h 30

Prix des places : de 9 € à 34 €

Tournée :

  • Karavan Théâtre à Chassieu (69) les 14, 15 et 16 novembre 2012
  • Espace culturel Jean‑Carmet à Mornant (69) les 22 et 23 novembre 2012
  • Comédie de Picardie à Amiens les 11, 12, 13 et 14 décembre 2012

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