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« Mujer Vertical », de Éric Massé, Théâtre de La Renaissance à Oullins

« Mujer Vertical », de Éric Massé © Jean-Louis Fernadez

Théâtralement déséquilibré

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Dans le cadre du festival Sens Interdits, la compagnie des Lumas propose une version bilingue et chorale du seul en scène créé par Éric Massé en 2013.

Au menu de ce nouvel opus intitulé Mujer Vertical, un choix de textes d’écrivaines engagées dans le combat pour l’émancipation féminine : Andrée Chedid, Florence Thomas, Élisabeth Badinter, Catherine Millet, Simone de Beauvoir, Virginie Despentes et Simone Weil ont pour porte-voix quatre femmes colombiennes. Aux œuvres littéraires ou extraits de discours, celles-ci ajoutent les témoignages de leurs propres vies.

Ana Milena Riveros est une ancienne paramilitaire, mobilisée de force pour lutter contre les F.A R.C. ; Maria Alejandra Martinez, fidèle aux engagements de son père, a agi comme guérillera révolutionnaire. Julisa Murillo, leader pour les droits de la communauté afro, a pris la place de sa fille kidnappée et menacée de viol par un groupe armé. Alejandra Borrero, comédienne, directrice de théâtre et star des telenovelas a créé un spectacle (Victus) avec cinq paramilitaires, cinq guérilleros et dix civils.

En novembre 2016, en Colombie, le gouvernement et les F.A.R.C. signent un accord de paix mettant un terme à cinquante ans de conflit armé. Pour la première fois, le texte ratifié reconnaît les souffrances et les inégalités imposées aux femmes, principales victimes de cette guerre. Deux séjours à Bogota ont permis à Eric Massé, avec l’aide de Manuel Orjuela, metteur en scène et comédien colombien, de réunir les interprètes de Mujer Vertical pour confronter leurs expériences aux écrits féministes français d’hier et d’aujourd’hui. Incarnant lui-même à leurs côtés un personnage transgenre, il choisit de se faire l’écho du processus de réconciliation nationale en cours là-bas et de s’engager ici pour soutenir les transformations sociétales indispensables. Crus, poétiques ou politiques, les mots de ce spectacle érigent un généreux et courageux manifeste pour comprendre et oser se réinventer.

Décalages

Pour théâtraliser son propos, Éric Massé recourt à des moyens simples. Un triptyque d’écrans destiné à recevoir des images fixes ou animées de Lucy l’australopithèque (première femme qui marche debout, verticale), des photographies liées aux manifestations pro et anti mariage pour tous, ou aux luttes concernant les droits des femmes et des homosexuel(le)s. Sur le sol, un cercle et des piles de livres, traces visibles de toute la littérature consacrée à la défense et illustration de la condition féminine, ainsi qu’un pupitre placé en avant-scène, sorte de tribune servant à haranguer l’assemblée de spectateurs. Autant de signes évidents d’un « théâtre-réalité » sérieusement documenté et formellement efficace.

Toutefois, ce dispositif ne suffit pas à masquer la faiblesse de l’interprétation, à l’exception d’Alejandra Borrero et d’Éric Massé – des artistes expérimentés. La comédienne se révèle particulièrement convaincante, en tailleur et chignon, lorsqu’elle s’empare du célèbre discours de Simone Weil, à l’Assemblée nationale. De même, quand elle parle de façon joyeusement provocante, vêtue de cuir, jouissant des mots de Virginie Despentes, en tant que « prolotte de la féminité » (une femme ne valant rien sur le marché de la séduction). Quant à Éric Massé, éminemment à l’aise en androgyne à talons hauts et lèvres rouges, il conduit avec humour et détermination l’enchaînement des paroles émancipatrices. Leurs prestations écrasent celles des trois autres protagonistes, réduits à lire à voix haute en espagnol les récits surtitrés de leurs vies. Elles déséquilibrent le spectacle et mettent les spectateurs, qui adhèrent fortement au contenu des lectures, dans une situation inconfortable : ce qui devrait bouleverser n’est qu’une morne litanie dépourvue d’émotion. En somme, marier la puissance de l’interprétation collective et le « théâtre-journal » hérité d’Augusto Boal, ressemble à un pari difficile.

Michel Dieuaide


Mujer Vertical, de Eric Massé

Traduction : Marlène Bondil, Alexandra Carrasco-Rahal, Magali Kabous, Lluis Miralles, Florence Thomas

Conception et mise en scène : Eric Massé

Avec : Alejandra Borrero, Maria Alejandra Martinez, Éric Massé, Julisa Murillo, Ana Milena Riveros

Durée : 1 h 35

Photo : © Fabienne Gras

Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France-Colombie 2017

Théâtre de La Renaissance • 7 rue Orsel • 69600 Oullins

Les 20 octobre 2017 à 20 heures et le 21 octobre 2017 à 16 heures

De 23 € à 9 €

Réservations : 04 72 39 74 91

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