Savant jeu de massacre
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Laurent Brethome crée « Pierre. Ciseaux. Papier. » de Clémence Weill, une mise en abyme des névroses de notre temps. Un spectacle qui se veut brillant ?
Un réac’ aux propos pontifiants. Une rêveuse invétérée. Un jeune homme qui ne se laisse pas connaître… Difficile de percer leur mystère ! Dans une séance de télé-crochet type « The Voice », les protagonistes, à la fois sujets et verbes d’une action mentale ou physique, sont engoncés dans leur fauteuil, cul par-dessus tête, plus ou moins décontractés. Chacun, à tour de rôle, décrit, dénonce, délivre des a priori pour dépeindre la personnalité de l’autre, dans trois monologues émaillés de phrases assassines, incisives et parfois drôles, qui apportent un contrepoint aux portraits de ces trois personnes ordinaires.
Des tranches de vie, reflets de notre humanité morcelée ? Clémence Weil travaille précisément sur l’idée de patchwork, mélangeant les styles récoltés dans des récits entendus, des anecdotes vécues, des voyages, des observations ou des expériences. Après cette recherche, elle opère par déconstruction, puis collage, pour manier les paradoxes. Ici, cela aboutit à une forme énigmatique, une dramaturgie tout en miroirs et en regards croisés.
Bas les masques !
De faux-semblants en gros plans déformés, les personnages sont comme pris au piège d’un jeu de pouvoir. Une mise à l’épreuve quelque peu mordante. Pourtant, ce jeu au prétexte enfantin – d’où le titre – est plus cruel qu’il n’y paraît. Après cette longue entrée en matière, les liens qui s’esquissaient jusqu’alors vont enfin devenir tangibles. Dans la seconde partie, les personnages sont effectivement brutalement projetés dans leur quotidien et donnent dans l’interaction pour régler leurs comptes, dans tous les sens du terme. Éjecté de son fauteuil de P.‑D.G. au 27e étage d’une tour, le pervers narcissique se voit licencier par une D.R.H. implacable qui ne déroge pas au parachute doré. On retrouve ensuite, au 7e ciel, la femme avec un amant embarrassé par un tableau, ce même tableau étrangement convoité par l’homme déchu.
C’est alors au tour de la mise en scène de juxtaposer les esthétiques en procédant par aller-retour entre réalisme et onirisme. En spéléologue averti, Laurent Brethome tente bien d’éclairer le propos, notamment en insistant sur les accessoires, clés de l’énigme, mais peine à sauver cette pièce bavarde, à la construction peu convaincante. Pièce qui a pourtant reçu plusieurs récompenses, dont le grand prix de Littérature dramatique en 2014, sous l’égide du C.N.T. !
On finit donc par se perdre dans les méandres d’une intrigue pour le moins fumeuse, d’autant plus que cette dissection des âmes manque de profondeur. La mise en abyme des névroses de notre temps (jeux de pouvoir, solitude, déshumanisation, partage inégalitaire des richesses…) est bien fastidieuse. Trop de pistes ! Heureusement, les interprètes, chevronnés, gardent le cap, soutiennent le rythme vif et enlevé d’une partition réglée au cordeau. Pas évident de rendre corps à cette parole en mouvement ! Mais de là à maintenir l’esprit du spectateur en éveil… ¶
Léna Martinelli
Lire aussi Entretien avec Laurent Brethome, metteur en scène, Théâtre Sorano à Toulouse.
Pierre. Ciseaux. Papier., de Clémence Weill
Le texte, publié aux éditions Théâtrales, est lauréat du grand prix de Littérature dramatique 2014 du C.N.T.
Cie Le Menteur volontaire • 10, place de la Vieille‑Horloge 85000 La Roche‑sur‑Yon
Tél. 02 51 36 26 96
Courriel : contact@lementeurvolontaire.com
Site : http://lementeurvolontaire.com/fr/
Mise en scène et scénographie : Laurent Brethome
Avec : Benoît Guibert, Julie Recoing et Thomas Rortais
Musiciens : Benjamin Furbacco / Antoine Herniotte
Composition musicale : Antoine Herniotte
Assistanat à la mise en scène : Anne‑Lise Redais
Dramaturgie : Daniel Hanivel
Lumière : David Debrinay
Costumes : Julie Lacaille
Conseiller chorégraphique : Éric Lafosse
Régie générale : Bastien Pétillard
Photo : © Philippe Bertheau
Réalisateur teaser : Adrien Selbert
Teaser : https://www.youtube.com/watch?v=oJXdEYKncV4
Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin‑Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Site du théâtre : www.theatredurondpoint.fr
Du 19 avril au 14 mai 2016, à 18 h 30, relâche les lundis, les dimanches et le 5 mai
Durée : 1 h 30
31 € | 28 € | 18 € | 16 € | 12 €