Scènes élit l’Élysée (no 1), l’Élysée à Lyon

Où et quand nous sommes morts © D.R.

La compagnie Scènes crève l’écran

Par Élise Ternat
Les Trois Coups

Du 17 avril au 4 mai 2013, la compagnie Scènes Théâtre Cinéma investit le théâtre de l’Élysée avec deux spectacles, deux performances, six courts métrages et une installation. Premier retour sur quelques temps forts d’un réjouissant panorama consacré au travail protéiforme de Philippe Vincent, avec en bonus des inédits et des invités tels que David Mambouch et Riad Gahmi.

Parmi les deux spectacles présentés, Où et quand nous sommes morts est un texte du jeune auteur, comédien et metteur en scène franco-libyen Riad Gahmi, mis en scène par Philippe Vincent. À l’instar d’Un Arabe dans mon miroir, cette pièce est le fruit d’une collaboration entre les deux artistes. Dans ce décapant vaudeville, il est question d’une rencontre imaginaire entre un « jeune de banlieue » et un couple de quadragénaires bourgeois. La problématique ici abordée sous le prisme de différentes figures de la société est celle de l’immigration.

À la fois comédie absurde et caricaturale, le texte de Riad Gahmi est également sombre et politique. Où et quand nous sommes morts met en évidence avec intelligence et de manière totalement décalée un ensemble de clichés déterministes. Et c’est en cela sa force : à la manière d’un boomerang, le racisme est retourné à son envoyeur.

Une mise en scène cinématographique

On se trouve pris dans cette incroyable intrigue menée tambour battant par des comédiens tout à fait surprenants. À commencer par le couple Rémi Rauzier / Anne Ferret : lui, excelle dans le rôle du mari bienveillant pétri à l’excès de bonté judéo-chrétienne ; elle, dans le rôle de la bourgeoise aussi froide que libidineuse, rêvant de pallier les difficultés conjugales de son époux avec le jeune Hakim joué par Mathieu Besnier, qu’on avait pu découvrir dans le 20 Novembre de Lars Norén, mis en scène par Simon Delétang. Il incarne ici un banlieusard qui catalyse à lui seul toutes les convoitises et attentions, y compris celle de l’effrayant Maréchal incarné par Jean‑Paul Martin… Chacun des comédiens fait preuve d’un remarquable talent pour donner consistance à ces individus totalement caricaturaux. Un altruisme dégoulinant au point d’en devenir ridicule, un attrait curieux mêlé à un excès de compassion, la résurgence d’un racisme outrancier… participent à une insurmontable incompréhension entre les différents personnages de la pièce.

Frontale, la mise en scène de Philippe Vincent atteste, par la diversité des points de vue qu’elle offre, d’une dimension cinématographique forte. L’imposant dispositif scénique signé Jean‑Philippe Murgue s’apparente à la pièce principale d’un appartement dont les parties vitrées laissent appréhender chaque détail de l’intrigue. L’ingéniosité de cette mise en scène consiste à révéler la teneur du texte tout en protégeant le spectateur du pire. Cet agencement évite par là même l’écueil de la violence tout en la suggérant.

Secoué, voici l’état dans lequel on ressort de cette pièce. Fort, décalé et sans concession, Où et quand nous sommes morts est un spectacle qui, de par l’intelligence de son propos et la vitalité de sa mise en scène, renoue avec un théâtre politique qui questionne de manière peu commune les thèmes actuels de l’immigration et du racisme.

La mémoire pour enjeu

Autre pièce, autre ambiance. Le second texte de Riad Gahmi Le jour est la nuit compte parmi les volets de sa trilogie sur le monde arabe. Écrit et mis en scène par ce dernier, cette pièce aborde le conflit israélo-palestinien sous le prisme de la Shoah d’une part et de la Nakba de l’autre. L’intrigue de cette tragédie contemporaine se centre ici autour de deux jeunes couples. Les uns sont les fantômes d’un passé, celui des Palestiniens qui ont dû fuir leur territoire lors de la création de l’État d’Israël en 1948, se heurtant au présent et à l’existence des seconds.

Les trajectoires relatives aux souffrances des deux communautés se dessinent sur le plateau au gré des lignes tracées au sol, marquant deux territoires distincts, sur un seul et même espace. Ces deux mondes dévoilent leur extrême porosité, amenant les deux couples dans des situations de cohabitation entremêlées de disputes, de folie et de résignation. Le décor consiste en une table sur laquelle sont disposés des couverts, quelques meubles. Une place notable est donnée aux sons comme aux éclairages. Il en résulte une atmosphère inquiétante et fantomatique, révélatrice de l’hostilité des lieux.

Ici, à l’inverse d’Où et quand nous sommes morts, c’est une langue et une scénographie plus dépouillées qui servent le propos de Riad Gahmi, dont la pertinence et la qualité restent inchangées. Pour aborder la question du conflit israélo-palestinien à travers les notions de mémoire, de coexistence de deux peuples et la question centrale des réfugiés, le metteur en scène emploie tout au long de la pièce des métaphores et allégories qui font sens, mais n’éclairent néanmoins pas toujours la lanterne du spectateur. De même, malgré la qualité de jeu des interprètes, le caractère un peu trop névrosé de certains personnages peut agacer, tandis que la tension dramatique demeure sur un même niveau.

Ainsi, bien que séduit par la pertinence, la profondeur, l’universalité et la richesse du texte Le jour est la nuit, on demeure quelque peu frustré devant cette mise en scène qui au-delà de son intérêt semble souffrir de quelques fragilités.

La présentation d’Où et quand nous sommes morts et Le jour est la nuit se révèle une belle occasion de découvrir le travail de Riad Gahmi. Associant pertinence et profondeur du propos, cette puissante écriture est servie avec cohérence par deux mises en scène riches de leur engagement et de leur diversité. 

Élise Ternat


Où et quand nous sommes morts, de Riad Gahmi

Mise en scène : Philippe Vincent

Jeu : Mathieu Besnier, Anne Ferret, Jean‑Claude Martin, Rémi Rauzier et Philippe Vincent

Lumière : Hubert Arnaud

Costumes : Cathy Ray

Scénographie : Jean‑Philippe Murgue

Image du film : Pierre Grange

Photo : © D.R

Production : Scènes Théâtre Cinéma

http://www.scenestheatrecinema.com/

Du 17 avril au 20 avril 2013 à 19 h 30, le 30 avril à 21 h 30, 1er mai à 17 heures, 2 et 3 mai à 19 h 30

Durée : 1 h 25

Tarifs : 12 € | 10 €

Le jour est la nuit, de Riad Gahmi

Mise en scène : Riad Gahmi

Jeu : Antoine Descanvelle, Shams el‑Karoui, Pauline Laidet et Guillaume Luquet

Création musicale : Patrick de Oliveira

Lumière : Richard Grattas

Production : Aurélie Maurier

Coproduction : La Quincaillerie moderne / Scènes Théâtre Cinéma

Les 22, 23, 24, 29 avril 2013 à 19 h 30, le 30 avril à 18 heures, 1er mai à 21 h 30

Durée : 1 h 10

Tarifs : 12 € | 10 €

L’Élysée • 14, rue Basse-Combalot • 69007 Lyon

Métro : Guillotière

Réservations : 04 78 58 88 25

www.lelysee.com

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