« Tapage dans la prison d’une reine obscure », de Marianne Œstreicher‐Jourdain, espace Alya à Avignon

Tapage dans la prison d’une reine obscure © Ludovic Leleu / région Picardie

Tuer la mère

Par Aurore Krol
Les Trois Coups

« Tapage dans la prison d’une reine obscure » parle d’un trio de femmes – mères ou filles, c’est selon – et du pouvoir destructeur que les premières peuvent avoir sur les secondes. Un texte bouleversant pour une intrigue qui évite tous les lieux communs.

Surgissant des coulisses micro en main, une jeune fille de noir vêtue déboule sous nos yeux. Tel le Monsieur Loyal d’une foire particulièrement lugubre, cette adolescente révoltée vient nous raconter une histoire de famille faite de tableaux éclatés, où les protagonistes vont être poussés dans leurs retranchements et devoir affronter leurs démons. Mystérieuse et allure de fantôme, elle pointera tout au long du spectacle les zones douloureuses, tournant sans répit le couteau dans la plaie pour faire éclater les tabous.

Le plateau est fourni, sombre, recouvert d’éléments brisés. Un choix de scénographie qui évoque très vite les cadavres dans le placard, les généalogies troubles et les mémoires en miettes. Ça se brise de partout, et la mise en scène foisonnante nous le fait ressentir. Cette esthétique recherchée met en lumière l’impression de démence, la cruauté consciente ou non d’une femme qui détruit son enfant mot par mot, rêve par rêve, en lui envoyant une image déformée et monstrueuse d’elle-même.

D’emblée, les répliques se gorgent des mots assassins de la mère, de la honte et de l’amour malmené de la fille. Une fille ironiquement appelée « Reine », qui encaisse ces formules chocs et destructrices dites insidieusement « pour le bien » des enfants. Cette dernière est jouée de toute son âme par une comédienne qui sait osciller entre silhouette ternie de trop de brimades et envie pudique d’exister pleinement. Quant à la mère, détestable, elle est aussi le résultat d’une merveilleuse performance d’actrice, tant elle exprime une personnalité retorse, aigrie et cassée par la vie, déversant son amertume et ses troubles psychiques à la manière d’un exutoire.

Au sommet de leur art

Ce sont donc trois interprètes au sommet de leur art qui servent ce texte superbe, écrit d’une plume ayant saisi sur le vif les névroses maternelles. L’auteur, Marianne Œstreicher-Jourdain, donne une vision précise de cette emprise malsaine et du chantage affectif, mais aussi de l’autodestruction et du combat acharné pour s’extirper tant bien que mal des liens du sang. Une écriture cathartique où le cru du propos et la beauté symbolique de certaines expressions se mêlent dans un drame empli d’humanité.

On rit jaune et on trépigne doucement sur son siège quand on se surprend à vouloir aider la victime à sortir de sa posture, à crier enfin sa rage légitime comme le fait l’étrange adolescente trouble-fête. C’est un formidable élan, une libération salvatrice qui affleure progressivement. Avec, peut-être, une émancipation en bout de tunnel. Exactement le type de spectacle qui mériterait de faire salle comble à chaque représentation. Il n’y a plus qu’à s’y précipiter, c’est génial, ou à fuir, ça remue fortement. 

Aurore Krol


Tapage dans la prison d’une reine obscure, de Marianne Œstreicher‑Jourdain

Aux éditions L’Harmattan, 2012

Cie L’Échappée • 32, rue de Paris • 02100 Saint‑Quentin

03 23 62 19 58 | 06 13 40 33 25

Courriel : compagnielechappee@club-internet.fr

Mise en scène : Didier Perrier

Avec : Dominique Bouche, Delphine Paillard, Renata Scant

Assistanat : Chantal Laxenaire

Scénographie : Olivier Droux

Lumières : Jérôme Bertin

Costumes : Céline Kartes

Création sonore : Hélène Cœur

Photographie : Amin Toulors

Graphisme : Alan Ducarre

Régie : Matthieu Émielot

Photo de une : © Ludovic Leleu / région Picardie

Espace Alya • 31 bis, rue Guillaume‑Puy • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 27 38 23

Site du théâtre : www.espacealya.com

Courriel de réservation : contact@espacealya.com

Du 8 juillet au 31 juillet 2013, à 15 h 30

Durée : 1 h 20

10 € | 7 € | 5 €

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