Le corps jamais vu
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups
Le chorégraphe Damien Jalet et le plasticien Kohei Nawa cosignent ces instants de grâce. Une plongée hallucinatoire dans le merveilleux de tous les jours : nous-mêmes observés de l’intérieur. Un des spectacles les plus forts que j’ai vu, atterri par miracle à Rennes.
Vessel, vaisseau en français, nous transporte dans tous les sens du terme. C’est le voyage de deux grands artistes au pays des organes, mais aussi des idées, de la vie sous toutes ses formes. Tout commence par une lueur dévoilant on ne sait quoi, une boule qui pourrait être un hologramme, car elle paraît floue, comme « tremblée ». Eh bien non, c’est un corps sans tête, que semblent parcourir des ondes mystérieuses.
Ce sera le principe de ce ballet-performance : des corps qui, privés de visage, servent de matériau aux compositions éphémères qu’ils font et défont sans relâche au rythme du bain sonore imaginé par Marihiko Hara et Ryuichi Sakamoto. Des masques africains, une araignée géante, des fonds marins, des gnomes vont ainsi se matérialiser sous nos yeux dessillés. Ce serait donc ça, notre vraie nature ?
Bac révélateur des fantasmes
Des mécaniques inquiétantes mais aussi sensuelles, quelquefois cocasses, telle cette danse des polypes s’enfonçant et s’élevant dans le sol, comme autant de pistons. On pense à la tête géante du dessinateur Kubin portée par sa dizaine de jambes ou aux visages du peintre Arcimboldo constitués de fruits, d’animaux ou d’objets. Cette si étrange façon de rendre vivantes des natures mortes.
L’autre image qui vient à l’esprit est celle du kaléidoscope, les figures se reflétant dans l’immense plan d’eau noire, miroir et bac révélateur de tous ces fantasmes. Est-il besoin de dire que les sept danseurs, tous de très haut niveau, les inventent chaque fois avec une précision et une aisance d’effets spéciaux ?
Et quelle belle idée que cet îlot-cratère, matrice flottant dans le noir où retournent les « cellules » des tableaux vivants, c’est-à-dire les danseurs dont l’anonymat obligé n’est pas le moindre mérite. Saluons encore le talent de Kohei Nawa, mais aussi celui de Yukiko Yoshimoto qui éclaire avec poésie cette représentation de la régénérescence.
Pourquoi ces tableaux abstraits nous parlent-ils si puissamment ? Parce qu’ils disent notre histoire de mortels épris d’éternel. Comme l’an dernier Yama, Vessel nous restitue avec force et talent nos rites d’origine. Damien Jalet y réaffirme son style très personnel de passeur visionnaire ; il a trouvé en Kohei Nawa un partenaire à sa hauteur.
Bref, un spectacle à voir toutes affaires cessantes. Prendre l’avion car, une fois de plus, aucune tournée n’est aujourd’hui prévue en France. Ce pur joyau sera visible aux États-Unis, un peu partout en Europe, en Australie, en Corée mais seulement « peut-être » à Paris la saison prochaine. La salle Vilar, en attendant, l’a applaudi à tout rompre. Un triomphe dont les interprètes ont eu la touchante modestie de paraître surpris. C’était bien leur tour. ¶
Olivier Pansieri
Vessel, ballet de Damien Jalet et Kohei Nawa
Chorégraphie : Damien Jalet
Scénographie : Kohei Nawa
Avec : Aimilios Arapoglou, Nobuyoshi Asai, Maymumu Minakawa, Ruri Mitoh, Jun Morii, Mirai Moriyama, Naoko Tozawa
Composition musicale : Marihiko Hara et Ryùichi Sakamoto
Création lumières : Yukiko Yoshimoto
Régie générale : So Ozaki
Régie son : Marie Charles
Spectacle créé à la Villa Kujoyama/Institut français du Japon, Kyoto en 2015
Théâtre national de Bretagne • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes
Mardi 23 avril et mercredi 24 avril à 20 heures, jeudi 25 avril à 19 h 30 et vendredi 26 avril à 20 heures
De 11 € à 27 €
Réservations : 02 99 31 12 31
Durée : 1 heure
Une réponse
Je n’ai pu malheureusement avoir de place pour ce spectacle et à la lecture de votre critique je suis triste de ne pas avoir pu y assister.