1830, millésime d’exception
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Manon Montel passe au pressoir un siècle de combats politiques et esthétiques pour en extraire un spectacle rythmé, spirituel, enivrant : un nectar !
Le blanc, ce serait Balzac, royaliste impénitent alors que son siècle est en train de tourner à la république. Il est en retard d’un temps sur toutes les modes, sauf en littérature, pour laquelle il a deux générations d’avance. Le rosé, Hugo. Ce tourneur de veste professionnel oscille toujours entre les contraires, mû par la passion de la Justice, en dépit de son sens du calcul et de la ruse, homme de majuscules et de sentiments entiers. La rouge serait Sand, sociale et féministe bien au-delà des autres, deux fois plus rageuse que ses confrères, puisque le chemin est deux fois plus dur pour l’une des seules femmes écrivains du XIXe siècle. De ces trois A.O.C. de la littérature française, Manon Montel a osé s’emparer pour nous prouver qu’avec eux, le vin de l’écriture n’est pas triste.
Quel plaisir de voir, d’un coup, sortir des pages jaunies de nos Lagarde et Michard, patinées au fil des listes d’oral de bac de français de toute la famille, trois personnages de pulpe et de jus, trois monstres sacrés dont on croit tout savoir et qui, pourtant, nous réservent des surprises. Car il y a quelques scoops dans cette pièce. Par exemple, le magnifique « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois mais j’ai aimé », que les moteurs de recherche les mieux informés attribuent à Musset, est l’objet d’un hold-up. La formule vient d’une lettre de Sand à son amant, lequel ne s’empressa pas de citer ses sources quand il écrivit On ne badine pas avec l’amour.
Une valse à trois géants
On apprend beaucoup dans ce spectacle où l’auteur est adepte du gai savoir et l’érudition jamais pesante. L’humour des dialogues, la dextérité du tricot à mailles bien serrées (une maille de citation, une maille d’invention), l’art du raccourci pour caractériser une époque sans sombrer dans l’encyclopédisme, sont les principales qualités de son écriture. Il reste peut-être encore quelques détails à modifier, comme les voix off un peu trop didactiques et, d’une manière générale, les choix sonores, parfois inadéquats. Mais dans l’ensemble, le passage d’un sujet pas forcément très théâtral à une mise en espace vraiment rythmée, est réussi.
La puissance d’incarnation des trois comédiens compte pour beaucoup dans cette résurrection en direct. Coup de cœur indiscutable pour le bouillant Stéphane Dauch qui, n’ayant aucune ressemblance physique avec Balzac, restitue néanmoins à la perfection le caractère sanguin et impulsif qu’on prête au grand homme. La charge émotive qu’il met dans ses lettres à Madame Hanska est bouleversante. Jean-Christophe Frèche (Hugo) et Manon Montel (Sand) lui offrent un contrepoint très équilibré, mais c’est indiscutablement lui qui mène la valse. Pendant 90 minutes, la tête nous tourne, de danse et d’ivresse verbale : voici un alambic à faire du spiritueux avec le spirituel. ¶
Élisabeth Hennebert
1830 : Sand, Hugo, Balzac, tout commence…, de Manon Montel
Mise en scène : Manon Montel assistée de Stéphanie Wurtz
Avec : Stéphane Dauch, Jean‑Christophe Frèche et Manon Montel
Costumes : Patricia de Fenoyl
Lumières : Arnaud Barré
Durée : 1 h 15
Pandora Théâtre • 3, rue Pourquery de Boisserin • 84000 Avignon
Dans le cadre du Off d’Avignon
Jusqu’au 30 juillet 2017, à 18 h 30 (relâches les 18 et 25 juillet)
De 10 € à 19 €
Réservations : 04 90 85 62 05
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