D’admirables tableaux plastiques
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Pour sa quatrième venue à Mettre en scène, la danseuse et chorégraphe danoise Mette Ingvartsen poursuit sa recherche sur le corps et sa nudité dans l’espace public. Au solo de « 69 positions », a succédé un ambitieux projet avec douze danseurs. On est sous le charme.
Le titre 7 Pleasures désigne comme en écho les sept péchés capitaux. Même si leur liste (paresse, orgueil, gourmandise, luxure, avarice, colère et envie) ne comprend pas que des plaisirs, leur évocation nous rappelle que, pour les religions du Livre, plaisir rime (souvent) avec culpabilité. De la culpabilité à la honte qui s’attache couramment au fait de s’exposer nu, il n’y a qu’un pas… que Mette Ingvartsen ne franchit jamais. Ses interprètes ont la nudité naturelle, heureuse, dirait-on.
Les spectateurs en ont une perception immédiate et sensible lorsqu’ils voient les danseurs et danseuses disséminés au milieu d’eux se dévêtir fort tranquillement, avec une lenteur étudiée, avant de gagner le plateau, nus. Ils y forment tous une sculpture vivante de corps enchevêtrés, sauf une femme qui semble s’être affaissée sur un fauteuil. Les percussions obsédantes de Will Guthrie cessent alors, et c’est un vrai soulagement.
Le message paraît être que le contact étroit des corps, peau contre peau, est le plaisir premier. La suite semble le confirmer. Lorsque ce premier tableau se défait, le contact ne se perd pas. Le groupe entame une sorte de longue reptation, dans un glissement progressif des corps les uns sur les autres, sans la moindre discontinuité, qui ne se termine qu’à la diagonale opposée.
Innocence de la nudité
Après la dislocation de ce deuxième tableau, le charme semble rompu. Le toucher des corps glisse vers le rapport sensuel avec les objets. La douce nonchalance fait place à une espèce de trépidation. La gestuelle de certains corps isolés peut évoquer des actes de copulation. Les corps cherchent à nouveau à se rejoindre dans une sorte d’agitation spasmodique. La quête du contact est frénétique, elle s’adresse à toutes les parties du corps sauf le sexe, et les seins des femmes. Une scène figure une transe dionysiaque.
Bientôt, l’harmonie rompue, la tension se fait palpable : gestes de contrainte et de défense. La recherche amoureuse (sensuelle, au moins) est plus pressante, mais elle se heurte à des obstacles ou doit recourir à des objets médiateurs. Quelques vêtements réapparus deviennent des instruments de coercition, attaches, liens. L’innocence de la nudité en est soulignée.
7 Pleasures constitue un véritable exploit physique pour ses interprètes. Cette exposition tranquille d’une nudité ordinaire, sans artifice, pendant une heure trente est un nouveau tour de force de Mette Ingvartsen. En auscultant ainsi nos normes et nos codes, elle nous conduit à nous interroger sur notre rapport à notre corps et au corps des autres. Ce questionnement n’a rien d’abstrait. L’œuvre est d’une beauté plastique toujours éblouissante. ¶
Jean-François Picaut
7 Pleasures, de Mette Ingvartsen
Première française
Conception et chorégraphie : Mette Ingvartsen
Avec : Sirah Foighel Brutmann, Johanna Chemnitz, Katja Dreyer, Elias Girod, Bruno Freire, Dolores Hulan, Ligia Manuela Lewis, Danny Neyman, Norbert Pape, Pontus Pettersson, Hagar Tenenbaum, Marie Ursin
Remplacement : Ghyslaine Gau
Dramaturgie : Bojana Cvejic
Lumière : Minna Tiikkainen
Décor : Mette Ingvartsen et Minna Tiikkainen
Musique : Peter Lenaerts avec la musique de Will Guthrie (Breaking Bones)
Assistante chorégraphie : Manon Santkin
Assistante lumière : Nadja Räikkä
Directeur technique : Joachim Hupfer et Nadja Räikkä
Régie son : Adrien Gentizon
Production : Kerstin Schroth
Assistante de production : Manon Haase
Photo : © Marc Coudrais
Production : Mette Ingvartsen / Great Investment
Coproduction : Steirischer Herbst Festival (Graz), Kaaitheater (Brussels), HAU Hebbel am Ufer (Berlin), Théâtre national de Bretagne (Rennes), Festival d’automne (Paris), Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris), PACT Zollverein (Essen), Dansens Hus (Oslo), Tanzquartier Wien (Vienna), Kunstencentrum BUDA (Kortrijk), BIT Teatergarasjen (Bergen), Dansehallerne (Copenhagen)
Théâtre national de Bretagne • salle Serreau • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31
Du 12 novembre au 14 novembre 2015 à 21 heures
Durée : 1 h 30
20 € | 13 € | 10 €
Centre Pompidou • place Georges-Pompidou • 75004 Paris
Métro : Rambuteau, Hôtel-de-Ville
R.E.R. : Châtelet-les-Halles
Entrée par la Piazza – niveau 1
Information : 01 44 78 12 33
Mercredi 18 au samedi 21 novembre à 20 h 30
14 € et 18 € – Abonnement 14 €
Durée estimée : 1 h 30
http://www.festival-automne.com/edition-2015/mette-ingvartsen-7-pleasures